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Cinéma

La Cité dont Dieu est absent

Commençons par une formule brute et abstraite, écrite impulsivement quelques minutes après la séance :

«Il n’est pas question de bien, il n’est pas question de mal, seuls importent les choix ; ceux-ci sont libres d’interprétation. L’extrême pauvreté, comme une fin, justifie les moyens et la morale ; néanmoins tout acte demeure dépourvu de gratuité. Adieu esprit manichéen, bienvenue dans la Cité de Dieu.»

Ce qui rend la Cité de Dieu si plaisant à regarder, c’est son absence de jugement moral. Son but n’est pas de chercher dans l’enfer des favelas l’enfant exceptionnel, symbole de la réussite, de valoriser son parcours et d’en glorifier son issue. Au lieu de s’imposer juge de l’existence, Fernando Meirelles raconte l’histoire de deux vies qui se croisent et se recroisent, liées par la même racine et que, pourtant, tout oppose. Deux vies qui se forgent à la façon de deux lignes parallèles : en ne se touchant jamais.

Petit Dé (Douglas Silva) © La Cité de Dieu, Fernando Meirelles, Kátia Lund, 2002

Voilà, La Cité de Dieu est un film sur la vie. Il n’y a pas mieux pour glorifier la vie qu’un film qui s’articule autour de la mort. Un bon film sur la mort sait faire ressortir de la vie toutes ses subtilités, tout ce qu’on aime en elle, tout ce qui, manifestement, donne une raison à notre présence.

Il n’est donc pas question d’un manichéisme classique où la justice s’opposerait à ceux qui s’opposent à elle, il y a d’un côté la justice et de l’autre la favela ; la précarité comme l’ennemi du bien commun.

Dans cette favela se substitue un monde parallèle – une hétérotopie*, en un sens – au sein duquel la misère a engendré ses propres règles et les fait respecter par la violence. Sous-couverte d’un sentiment de gratuité, cette violence dissimule l’espoir d’une réussite, par exemple celle de Petit Dé : devenir le plus grand criminel de Rio.

Par extension au phénomène de vie, La Cité de Dieu est également une affaire de survie, chaque instant est une lutte pour la reconnaissance. Certains veulent le respect par la peur et le contrôle en contribuant au système injuste et violent qu’ils ont toujours connu. D’autres cherchent à s’extirper, à fuir et découvrir un nouveau monde, comme Fusée qui nourrit le rêve de devenir photographe.

La criminalité et la fuite ont une valeur égale. Elles sont deux façons de s’adapter à une réalité difficile. À ce sujet le film raconte ceci : ce ne sont pas nos choix qui sont importants ni ce qu’ils représentent, mais les raisons qui nous poussent à les faire.

Et au milieu de tout ça il y a les instants de pause, baignés dans un soleil qui tape, étalés sur le sable blanc de la plage. Lorsque des adolescents vont se baigner, danser, draguer et fumer des joints. Parce qu’après tout la vie ici n’est pas plus horrible qu’ailleurs, elle est ce qu’elle est : un concentré de bons et de mauvais moments. La seule manière de définir la vie, réside dans l’aptitude à savoir profiter des moments qu’elle propose. Les rackets à mains armées, l’amour à la plage, ces moments coexistent.

Au-delà d’un propos simple et moralisateur sur le cercle vicieux du banditisme et sur la situation explosive des favelas brésiliennes, La Cité de Dieu raconte quelque chose de plus humain, de plus profond : la vie existe partout, même là où on ne l’imagine pas.

*Lieu inhérent à notre société mais soumis à ses propres règles. Concept défini par Michel Foucault dans son ouvrage Le Corps Utopique, Les Hétérotopies ; paru en 2019 aux éditions Lignes.