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Décortiquer la culture du viol en l’exposant sous toutes ses coutures, le pari audacieux de I May Destroy You

TW: violences sexuelles 

Il y a de ces œuvres cinématographiques qui changent votre perception du septième art, qui par leur beauté ou leur prouesse vous font apprécier avec un regard nouveau les images qui défilent devant votre écran. Puis il y a ces claques inattendues qui se cachent là où on ne les attendait plus, qui vous font non seulement questionner le médium cinématographique mais aussi votre propre rapport à la vie. I May Destroy You est une de ces claques qui brûle encore la joue, des semaines après le premier visionnage. 

Cette mini-série anglaise écrite et réalisée par Michaela Coel, qui campe également le personnage principal, aborde avec un regard neuf la culture du viol sous toutes ses coutures. Nous suivons ainsi la vie tumultueuse d’Arabella, jeune écrivaine racisée en crise identitaire, et ses proches. Lors du première épisode, elle subit un traumatisme qu’elle cherchera à confronter tout au long de la série. 

Ce qui fait la force du récit de Michaela Coel c’est son rapport aux violences sexuelles, d’un réalisme étonnant sans jamais tomber dans le voyeurisme. Dans I May Destroy You, le viol est perçu comme un évènement traumatique au même titre qu’un accident de voiture, il est accompagné de pertes de mémoire, d’hypersensibilité aux gens et aux bruits et une pluralité de conséquences tant sur le plan psychologique que psychique. A travers la courte focale déformante ou les effets de points changeants, Michaela Coel parvient à représenter à l’écran le malaise profond d’un corps qui a été violenté. 

Kwame (Paapa Essiediu),Arabella
(Michaela Coen) et Terry (Weruche Opia), les trois inséparables © I May Destroy You, (2020), Michaela Coen

L’histoire s’attarde aussi sur la pluralité des expériences traumatiques qui accompagnent la sexualité, des détails qui font toute la différence et qui sont souvent passés sous le tapis. L’expérience de Kwame qui questionne son homosexualité après une expérience traumatisante permet de mettre en lumière les rouages compliqués de la sexualité, loin d’une vision binaire et manichéenne.

Coel choisit également de montrer avec beaucoup de justesse les différents mécanismes d’oppression racistes et sexistes. Une scène marque par sa volonté de représenter ses personnages féminins sans filtre: la séquence qui montre Arabella enlever son tampon ensanglanté avant une partie de jambes en l’air qui sera très vite abandonnée, parce que son partenaire devient très curieux des pertes de la jeune femme. Mêlant humour et spontanéité, ce passage met en lumière un aspect encore tabou du corps et de ses menstruations. 

L’irrévérence du personnage principal donne une certaine saveur à la série qui commente également le processus créatif, Arabella étant écrivaine dans la série, et qui dans le dernier épisode, prend le contrôle de la narration à travers une temporalité éclatée. 
Coel met des images sur des expériences parfois difficiles à qualifier avec des mots. Cette série sera donc cathartique pour plusieurs d’entre nous. La libération de la parole vient d’abord par une tentative de qualification de nos expériences: I May Destoy You nous donne des armes pour combattre la culture du viol, infusée dans notre quotidien.