Assassination Nation : les germes très maladroits d’Euphoria
Second long-métrage de Sam Levinson, Assassination Nation préfigure la série Euphoria que le réalisateur crée l’année suivante : les deux œuvres se concentrent principalement sur des personnages féminins adolescents et leur mal-être. Se voulant pamphlet contre les Etats-Unis et sa violence sexiste, le film adopte le point de vue de la lycéenne Lily afin d’explorer comment elle et ses amies sont devenues les cibles de leur ville, Salem.
Avec Assassination Nation, on s’attend donc à voir les débuts prometteurs et flamboyants de Levinson. Dès le début, l’esthétique semble confirmer cette idée. La mise en scène se déploie avec la même énergie ardente et dévorante que celle qui fait le sel d’Euphoria. La caméra oscille entre montage frénétique, larges travellings, plans-séquence… Levinson n’est pas avare en idées et effets visuels reflétant la rapidité du monde adolescent dans lequel le rapport à l’image apparaît central. L’efficacité de la séquence en split-screen en fait ainsi l’une des scènes les plus réussies du film ; elle permet de suivre les chemins parallèles des filles au cours de la soirée tout en soulignant leur enfermement par le surcadrage.
Malheureusement, trop préoccupé par la forme, Levinson en oublie d’approfondir son film. Le déferlement de violence, qui s’abat sur Salem suite au piratage massif, rendant public la vie privée des habitants, manque cruellement de crédibilité. S’il arrive qu’Euphoria flirte avec la glamourisation de la violence, dans Assassination Nation il n’y a pas de doute. Très rapidement, la violence devient une facilité : sous prétexte de vouloir critiquer le sexisme, Levinson en fait tout un étalage sur-esthétisé et absurde. La deuxième partie du film part en roue libre et il devient de plus en plus difficile de croire à ce que l’on voit. Le glissement du portrait de la vie adolescente vers le genre du survival est bâclé, ce qui en gâche tout le potentiel cathartique. Les meurtriers surgissent finalement de nulle part puisque l’évolution de ces hommes, de “civilisés” à sanguinaires, reste invisible. En effet, à force de s’attarder sur les longs discours philosophiques de Lily sur le féminisme, le film omet de traiter ce qui est pourtant annoncé comme le sujet du film : qu’est-ce qui a mené les habitants de Salem à vouloir tuer des adolescentes ?
Entre l’héroïne trop parfaite, les parents indignes et les garçons dont la toxicité est dépourvue de nuance, les personnages se révèlent lisses et peu attachants. Alors qu’Euphoria donne à voir une galerie d’adolescentes imparfaites mais touchantes, Assassination Nation nous présente Lily : la fille très belle, très intelligente, très talentueuse, qui a toujours raison et qui a un grand cœur. A côté de ça, la caractérisation des autres filles est inexistante, on ne saurait dire ce qui les différencie les unes des autres. Hormis Bex, les amis de Lily ne sont que ses faire-valoir ; elles resteront malheureusement réduites à leur apparence, ce qui est pourtant ce que le film dénonce, entre autres. Lorsqu’elles sont en danger, il apparaît donc impossible d’avoir la moindre inquiétude concernant ces personnages tristement interchangeables.
L’évocation du mythe de la chasse aux sorcières perd ainsi toute sa saveur. La recherche visuelle de la mise en scène se vide de son sens puisque le film n’est plus qu’une jolie coquille vide. Le propos politique néglige l’importance de la subtilité qui aurait pu permettre au film d’être bien plus qu’un spot féministe. Assassination Nation a au moins le mérite de nous donner envie de revoir Euphoria.