Catégories
Santé

Les agents pathogènes

Ils sont invisibles, tantôt amis, tantôt ennemis. Ils étaient là avant nous, et seront là après notre extinction. Leur existence dicte la nôtre à un degré que l’on n’imagine pas et pourtant nous les méprisons en les appelant «microbes». Les agents pathogènes sont omniprésents depuis 3.7 milliards d’années et méritent bien qu’on s’attarde un peu sur eux, leur classification et comment nous avons fini par découvrir leur existence et leur rôle dans nos infections, après avoir prêté à leurs effets des origines divines, occultes et vengeresses.

Un peu d’histoire

En 1700 av. J-C, dans le Code d’Hammourabi, code de lois de la Mésopotamie Antique, les maladies (infectieuses ou non), sont des malédictions divines. Dans le Papyrus d’Ebers, daté du XVIᵉ siècle av. J.-C, les égyptiens, associent la maladie à une alimentation inadaptée, ce qui explique leur appétence pour les lavements, mais aussi à des vents porteurs de «iadet», des démons volatiles. Sans en comprendre la cause, ils avaient corrélé leur pic épidémique de paludisme, surtout chez les nouveaux nés, aux crues du Nil. La découverte du plasmodium falciparum transmis à l’homme par le moustique anophèle, découvert en 1880 par Alphonse Laveran leur donnera raison, 3500 ans plus tard. 

Hippocrate, au Vᵉ siècle av. J.-C, distingue les maladies contagieuses entre humains et les non transmissibles, mais toujours pas de trace d’agents pathogènes. Pour le «père de la médecine», les maladies contagieuses sont le fait d’un air vicié et nauséabond et liées à des miasmes. On se rapproche doucement. Varron, savant romain, publie des textes vers 70 av. J.-C où il suppose que les miasmes hippocratiques contiendraient des animalcules, ou animaux non visibles à l’œil nu. Bravo à lui. Toujours sans savoir exactement quelle en est la cause, Rhazès, médecin né dans l’actuel Iran au IXème siècle propose l’isolement des malades et le lavage à l’eau et au vinaigre pour limiter le risque de propagation des maladies. La Peste Noire du XIVᵉ siècle va ébranler les croyances les plus profondes en  tuant 30 à 50% des européens, sans distinction d’âge, de statut social, de croyance ou de pratique religieuse. Les années passent, l’équipage de Christophe Colomb  fait office de bombe bactériologique (d’après « l’hypothèse colombienne » qui fait débat) en apportant des agents pathogènes inconnus en Amérique depuis l’Europe, et au retour, ramène la syphilis sur le vieux continent qui n’en demandait pas tant. Voilà que les agents pathogènes voyagent entre continents non contigus.

La première mise en évidence d’un agent pathogène intervient en 1687 quand Giovanni Cosimo Bonomo observe le sarcoptes scabiei hominis, l’acarien à l’origine de la gale. En 1847, Ignaz Semmelweis suspecte que des germes non visibles sont à l’origine de la fièvre puerpérale. Cette infection tuait les femmes peu après leur accouchement, et les médecins n’en comprenaient pas l’origine. Semmelweis supposa, à raison, que pratiquer des accouchements après des autopsies, le tout sans se laver les mains, n’était pas l’idée du siècle et il posa l’hypothèse d’une transmission d’agent vecteur de maladie par manque d’hygiène. C’est vous dire d’où on partait et le chemin parcouru (même si des gens continuent de ne pas vouloir se laver les mains ni porter un masque pendant une pandémie virale mondiale, 173 ans plus tard ).

Ses publications longuement décriées (parce que faudrait pas pousser mémé dans les orties et dire que c’est les médecins qui rendent les gens malades) aboutiront finalement à la mise en place de protocoles d’hygiène prophylactique qui feront baisser le taux de mortalité en des femmes en post-partum de 12 à 2%. 30 ans plus tard, Louis Pasteur révolutionne à son tour la médecine avec sa publication La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie. Le concept de germes à l’origine de maladie infectieuse commence à faire son chemin, suivi de celui du risque relatif, avec des notions de temporalité et d’incubation. L’étude et la taxonomie des agents pathogènes fait un grand bond en avant, et ouvre la porte à des prises en charge préventives et curatives ciblées.

Ignace Semmelweis qui se lave les mains, ou fait la vaisselle, on ne sait pas trop

Au XIXème siècle, le médecin Jean Hameau évoque l’hypothèse d’agents infectieux, invisibles pour les microscopes de l’époque et qui ne sont ni des bactéries, ni des champignons, ni des parasites. Il avait perçu l’existence des virus, beaucoup plus petits, qui ne sont découverts qu’en 1882 par Dmitri Iwanovski, avec le virus de la mosaïque du tabac. Il faut attendre 1927 pour que Adrian Stokes isole le premier virus responsable de maladies chez l’humain, le virus amaril responsable de la fièvre jaune. Les viroïdes ne sont, eux, découverts qu’en 1971 et leur mécanisme est encore au cœur de nombreuses recherches. L’existence des prions survient dix ans plus tard. 

De quoi rester humble et se dire que nous sommes encore loin d’avoir tout découvert sur les agents pathogènes et encore plus sur leurs particularités et leur fonctionnement.

Plague Inc. un excellent jeu vidéo qui a connu une surprenante seconde jeunesse en mars 2020

Classification et présentation

En résumé, aujourd’hui nous connaissons, en tant qu’agents pathogènes : 

  • Les bactéries
  • Les virus et viroïdes
  • Les prions
  • Les parasites : vers et protozoaires
  • Les arthropodes : poux et acariens
  • Les champignons

Les bactéries

Il serait bien trop long de faire une présentation détaillée des bactéries, de leur classification et de leur mode de fonctionnement. Les éléments importants à retenir sont qu’il s’agit d’une cellule unique avec un chromosome, sans noyau. Elles mesurent en moyenne 0,5 et 5 µm, mais avec de grosses variations possibles. Les bactéries sont omniprésentes, sur votre peau, votre langue, votre écran de téléphone, dans votre tube digestif, et même le bouchon de votre bouteille de javel. Elles sont partout ! Heureusement toutes les bactéries ne sont pas dangereuses pour nous, et beaucoup sont même indispensables à notre survie. Leur rôle et leur impact sur notre organisme sont démentiels. Certaines provoquent cependant des maladies, soit par multiplication non régulée dans nos tissus avec un effet destructeur local, soit par sécrétion de toxines, comme la scarlatine (RIP Elizabeth March, petit ange parti trop tôt).

Si l’auteur de la Comédie Humaine avait été infecté par cette bactérie on aurait parlé de la gonorrhée de Balzac

Les virus

Beaucoup plus petits que les bactéries, les virus mesurent entre 10 et 400 nanomètres, soit environ mille fois moins. Ils sont formés d’une enveloppe renfermant un bout d’ADN ou d’ARN, ce qui les différencient des bactéries qui possèdent un chromosome entier. 

Pour bien comprendre la différence fondamentale entre une bactérie et un virus, il faut imaginer la bactérie comme une cuisine bien aménagée avec au centre un livre de recettes (son chromosome). Ce livre contient les consignes pour qu’elle puisse se dupliquer mais aussi agir de manière complexe comme toute cellule le ferait. Le virus, a contrario, ne contient qu’une page du livre de recette, sous blister, celle pour se dupliquer. Mais il n’a en lui aucun matériel pour le faire. Alors il va parasiter nos cellules, qui sont des cuisines de restaurant de luxe, et il va remplacer une page du livre de recette du chef par la sienne. Maintenant, notre cellule, qui dans un excès de politesse s’est écriée «Ah non, la cuisine c’est moi, et Schmidt», ouvre le livre de recette et crée pleins de petits virus. En s’échappant, ces petits saligauds ruinent complètement la cellule et partent en direction du restaurant le plus proche pour recommencer le même schéma.

Dire qu’il y a peu quand on disait « Corona », on pensait à une bière ou à la chanteuse de « The Rhythm of the Night »

Les prions

Les prions ne sont ni plus, ni moins, que des protéines à l’état pur, de composition classique mais de forme anormale. Leur pouvoir pathogène vient de leur capacité à pousser les autres protéines du même type à adopter leur forme, les rendant incapables de mener à bien les missions pour lesquelles notre corps les avait créées. Imaginez une fourchette normale (oui, je reste dans les métaphores de cuisine), avec son manche et ses dents. Maintenant imaginez une autre fourchette mais pliée de telle sorte que les dents sont tournées vers l’extrémité du manche. Elle reste une fourchette, sa composition n’a pas changé, sa qualification non plus, mais désormais vous n’êtes plus en mesure de l’utiliser pour manger, elle ne peut plus respecter son utilité première et pire, maintenant vous risquez de vous blesser en l’utilisant. Maintenant imaginez que la fourchette pliée possède la capacité de pousser toutes les autres fourchettes de votre cuisine à prendre la même forme, vous risquez d’avoir des petits soucis la prochaine fois que vous allez vouloir manger. Les maladies liées aux prions c’est exactement le même principe mais avec les protéines qui font fonctionner votre cerveau.

Les parasites

C’est un peu complexe. Par définition un parasite est un organisme qui vit au dépens d’un autre sans le détruire (bisou aux Goa’uld). C’est aussi un excellent film mais là n’est pas sujet. Dans le cadre des agents pathogènes un parasite peut être un pluri ou monocellulaire. Dans le premier cas, on évoque en priorité les vers, comme le taenia ou l’ascaris (et là c’est le moment où vous pouvez vous estimer heureux que je n’ai pas mis d’image). Pour les parasites unicellulaires on parle de protozoaire, et le plus connu est probablement toxoplasma gondii (rien n’à voir avec Michel), l’agent responsable de la toxoplasmose. Le cycle de vie des parasites est rarement un long fleuve tranquille, et passe souvent par différents hôtes et des excrétions corporelles diverses et variées jusqu’à finir, dans les cas qui nous intéressent, chez l’Homme. Tout le paradoxe vient alors du fait que si nous prenons conscience de leur présence en nous c’est que leur présence nous rend malade, voire même, peut nous tuer, ce qui va à l’encontre de la définition du parasite. La parasitologie est un domaine fascinant, bien qu’il soit déconseillé de s’y plonger à l’heure du déjeuner, et pourrait faire l’objet d’un article si vous en exprimez le souhait.

Les arthropodes

Les sarcoptes et autres poux, tout comme les autres agents pathogènes, veulent juste vivre tranquillement, se multiplier et créer leur propre civilisation, en creusant des sillons, et en pondant des oeufs dans vos cheveux, sur votre peau, ou dans des zones où vous n’avez pas envie de les trouver le matin pendant votre douche. En plus de jouer les squatteurs, certains arthropodes servent de vecteur de maladie par leur sang et leurs excréments (le typhus et la peste pour ne citer qu’eux).

Les champignons

Rien ne change ici, les champignons veulent encore et toujours se multiplier. Tout comme les bactéries, beaucoup vivent sur et en vous sans que cela ne pose aucun souci, grâce à un système d’équilibre qui peut être bouleversé par la prise d’antibiotiques, certaines maladies, et des causes moins directes. Lorsque l’on parle de maladies liées à des champignons, on imagine en premier lieu les mycoses, de la peau, des ongles, ou des muqueuses, mais certains arrivent à trouver un passage jusqu’à vos organes internes. L’aspergillose, par exemple, peut entraîner une infection pulmonaire sévère. Tout cela ne doit pas vous empêcher de manger du roquefort, mais méfiez-vous de la moisissure qui grignote cette part de pizza solitaire qui traîne dans votre frigo depuis trop longtemps.

Et maintenant ?

Ces présentations sommaires ont pour but de préparer le terrain avec un autre article à venir où il sera question de votre système immunitaire, ce merveilleux mécanisme ancestral qui vous protège de ces agents pathogènes à chaque seconde (oui, en ce moment même, pendant que vous lisez cet article). Mais comme disait Sun Tzu dans l’Art de la guerre «Connais ton ennemi et connais-toi toi-même», et maintenant que la première partie est respectée, nous allons pouvoir parler de cette partie de vous-même, en guerre permanente, pour que vous restiez en vie.

Valentin. C