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Goldeneye 007, c’est de la Bond, bébé

Goldeneye 007, sorti en 1997 sur Nintendo 64 est un de représentants iconiques du genre FPS (First Person Shooter). Parangon du jeu de tir en multijoueur local sur console, il a gravé positivement la mémoire des possesseurs de la console, et de leurs amis invités pour des parties endiablées. De retour depuis janvier dernier, dans une version remastérisée sur consoles Xbox, et dans sa version originale sur Switch via l’abonnement online avec pack additionnel, le célèbre jeu de Rare va devenir disponible pour une nouvelle génération de joueurs qui n’ont pas connu l’âge d’or du studio anglais.

Mais avant de vous relater l’histoire de la création de Goldeneye 007, il serait dommage de ne pas profiter de l’occasion pour parler un peu de la rocambolesque genèse de son support de base, la Nintendo 64, et de l’histoire de son studio, Rare. 

Drop the bits

La quatrième génération de console a vu s’affronter sur le marché la Super NES, la Megadrive, la PC Engine, la Neo-Geo et la Philips CD-I. Mettons de côté les deux dernières, la Neo Geo étant réservée aux familles qui vivaient dans des châteaux et ayant leur propre yacht, et la Philips CD-I qui sera évoquée brièvement un peu plus bas. Sur le podium, on retrouve logiquement la Super Nes et la Megadrive qui se tirent la bourre, à l’apogée du duel Nintendo/Sega. La Super Nintendo emporte la première place, et sur la 3e marche du podium une vaillante PC-Engine tente de résister.

Cette quatrième génération de console est aussi celle de l’arrivée du format CD. Déjà bien implémenté dans le milieu de la musique, il apparaît que ce nouveau support est celui de l’avenir pour le jeu vidéo. La PC-Engine engage les hostilités avec un périphérique sobrement nommé CD-Rom², suivi du Super CD-Rom² et de la Turbo Duo version complète de la console de NEC avec le lecteur CD inclus. Sega lui emboîte le pas avec le Mega-CD, une extension pour la Megadrive. Ces périphériques sont des échecs en raison de leur prix prohibitif (parfois équivalent au prix de la console seule), et d’une ludothèque assez peu fournie (bien que le catalogue CD de la PC-Engine recèle quelques pépites).

L’effet papillon version console

Nintendo, de son côté, voyant le vent tourner, décide de lancer un partenariat avec Sony dans l’idée de créer la SNES-CD. Cette histoire est on ne peut plus connue, mais un bref rappel n’est jamais inutile. Tout s’annonçait bien après les premières rumeurs de partenariat entre ces grandes firmes jusqu’à ce qu’un revirement de dernière minute voit Nintendo casser le contrat à quelques jours de l’annonce officielle du projet. La raison évoquée est un contrat qui ne plaît pas à Nintendo avec l’exploitation de logiciels de karaoké prévue sur l’extension CD, dont Sony serait seul bénéficiaire. Craignant que la console ne devienne, aux yeux des acheteurs, une machine de karaoké plutôt qu’une console de jeu, et possiblement pour des raisons financières, Nintendo rétropédale dans le dernier virage alors que Sony agitait déjà le drapeau à damier. L’affront est d’autant plus grand que la rupture brutale du partenariat entre les deux sociétés japonaises voit Nintendo se tourner vers un concurrent européen de Sony, Philips. In fine, l’extension CD de la Super Nintendo ne voit jamais le jour, mais Philips crée tout de même sa console CD, la Philips-CDi avec des jeux estampillés Mario et Zelda, reliquats du contrat signé avec la firme japonaise. De son côté Sony applique l’adage selon lequel la vengeance est un plat qui se mange froid et décide de poursuivre son chemin du côté du média vidéoludique en créant la Playstation.

C’est dans ce climat un peu tendu que démarre l’ère de la 5e génération de consoles. En 1993, la Jaguar, l’Amiga CD 32 et la 3DO lancent le bal. La dernière étant celle qui s’en sort le mieux, sans pour autant marquer l’histoire, mais au regard de son prix de lancement à 700 dollars, on peut saluer la performance. 1994 est plus notable avec l’arrivée peu avant Noël, au Japon, de la Sega Saturn et de la Playstation. On connaît le destin opposé de ces deux consoles, bien que la Saturn mérite bien plus de reconnaissance que ce dont elle bénéficie aujourd’hui, avec sa ludothèque riche de quelques pépites telles que Sega Rally Championship, Virtua Cop, Panzer Dragoon Saga ou Night into Dreams. Pour Sony c’est le début d’une folle aventure qui perdure encore aujourd’hui. Ce qui ressort de ces cinq consoles nommées c’est l’avènement confirmé du format CD. Mais il reste encore un concurrent dans les starting-blocs, et c’est celui que tout le monde attendait. 

Dreams are my Reality

Le 23 Août 1993, Nintendo qui était resté bien discret jusque là décide d’entrer dans la danse. 

Lors du Nintendo Space World, salon de jeux vidéo organisé par la firme japonaise, est annoncé un partenariat avec Silicon Graphics Industry. À l’époque SGI est une société qui fait rêver l’industrie du cinéma et que l’on retrouve derrières les effets spéciaux de Terminator 2 ou encore Jurassic Park. Pour autant, ce partenariat avec Nintendo ne signe pas l’entrée de la société américaine dans le marché du jeu vidéo puisque plusieurs studios s’étaient déjà dotés de stations de travail estampillées SGI pour leurs créations (Psygnosis, Id Software, Crystal Dynamics…).

Deux contrats sont particulièrement intéressants à noter. Celui avec Rare, pour la création de Donkey Kong Country sur Super Nintendo et celui avec Sega pour certains jeux d’arcade comme la borne Virtua Racing. C’est avec ce concurrent direct de Nintendo que SGI entame des négociations avec la promesse d’un processeur surpuissant à bas coût. Les premières démonstrations laissent le directeur de Sega USA sans voix, mais après une présentation aux cadres de Sega Japon c’est une fin de non recevoir qui conclut les échanges. Une aubaine pour Nintendo qui ne se braque pas à l’idée d’être le second choix de SGI. Ainsi né le Projet Reality, une console de 64 bits, avec un processeur créé par les rois de l’imagerie 3D, et annoncée à moins de 250 dollars. C’est avec un mélange d’excitation et de scepticisme que cette annonce est reçue, mais le résultat est là, un pavé dans la mare, un détournement de tous les projecteurs vers la future console de Nintendo.

Onyx soit qui mal y pense

Le développement de la Nintendo 64 ne se fait pas sans péripéties et retournements de situation. Le projet avance lentement, Nintendo est avare en information dans les mois qui suivent son coup d’éclat marketing. Chez SGI c’est la foudre qui s’abat sur l’organigramme de la société. Les tensions entre James Clark, fondateur de SGI, et Ed Mac Kraken, PDG de la société explosent avec le départ de Clark en 1994. Visionnaire, et conscient que l’exponentielle progression des processeurs sur le marché va finir par rendre obsolète les outils vendus à des prix exorbitants par SGI, il décide de quitter le navire pour créer le navigateur internet Netscape. Pour Nintendo cette annonce fait l’effet d’une bombe, Clark étant le principal artisan du partenariat entre les deux sociétés. Le Projet Reality continue son chemin, comme il peut, et change de nom pour devenir Nintendo Ultra 64. Pendant ce temps, Sega sort la Saturn, et Sony renverse tout avec sa Playstation et ce fameux T-rex en 3D qui a fait rêver tous les enfants et adolescents de l’époque.

Le vent semble tourner, et Nintendo prend même le risque d’annoncer que sa future console n’adoptera pas le format CD, mais restera au format cartouche. De quoi surprendre les futurs acheteurs mais aussi les développeurs qui ont vite compris les avantages de ce nouveau format. L’une des conséquences les plus notables de cette décision est la fin de l’idylle historique entre Square et sa licence Final Fantasy et Nintendo qui avait accueilli tous les jeux du RPG jusque là. Malgré une démo graphique mémorable de Final Fantasy VI à la sauce 3D pour vanter les mérites de la future console de Nintendo, Square annonce que son prochain jeu sortira sur Playstation au format CD. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Nintendo annonce un report de la sortie de sa future console, à l’année 1996. Du pain béni pour Sega et Sony qui ne se privent pas de prendre d’assaut les prises péritel et les économies réservées à offrir des consoles pour Noël. 

Au Nintendo Space World 95, l’Ultra 64 devient la Nintendo 64, pour éviter tout quiproquo avec Ultra Games, une filiale de Konami. Super Mario 64 et Kirby Bowl (qui ne verra jamais le jour) sont jouables pour la première fois. La version bêta de Mario Kart 64 mais aussi Pilotwings 64, StarFox 64 ou encore Wave Race 64 sont présentés au public. L’intérêt est relancé, il s’agit désormais pour Nintendo de ne pas le perdre jusqu’à la sortie de sa console. Après un dernier report de 2 mois, officiellement pour peaufiner Super Mario 64 qui sortait en même temps que la console, la Nintendo 64 arrive sur le marché japonais le 23 juin 1996. L’Amérique du Nord et le Brésil y ont droit 3 mois plus tard, tandis que nous, pauvres français devons attendre le 1er septembre 1997, soit plus d’un an après la sortie japonaise, et même 6 mois après la sortie dans le reste de l’Europe. Cette situation engendrera des ventes de versions importées de la console chez nous à 1500 francs, au lieu de 1000 une fois la version française officiellement sur le marché.

Ce qui est Rare est précieux

Du Japon de la fin des années 90, nous repartons vers l’Angleterre au début des années 80, pour assister à la création d’un des studios les plus emblématiques des années des ères 16 et 64 bits.

À mi-chemin entre Londres et Manchester, à l’est de Birmingham et au nord de Leicester, nous retrouvons Chris Stamper, jeune étudiant en physique et électronique à l’université de Loughborough. Assez débrouillard pour avoir monté son propre ordinateur et avoir appris à coder, il décide, au grand dam de ses parents, de quitter son cursus universitaire pour rejoindre Associated Leisure, une société spécialisée dans l’importation de bornes d’arcade depuis le Japon et les États-Unis. Son poste consiste à réparer les bornes et corriger certains bugs. Histoire de ne pas être le seul à faire peur à ses parents sur son avenir, il fait venir son plus jeune frère, Tim, dans la société. Au fil des mois, ils deviennent amis avec leur collègue, John Lathbury. Lorsque Norman Parker, directeur adjoint d’Associated Leisure décide de quitter son poste pour créer la société Zilec Electronics, dont le but est de créer des portages de jeux d’arcade sur différents supports, nos trois larrons décident de monter dans la camionnette avec lui vers de nouvelles aventures. Les frères Stamper commencent à travailler, indirectement, pour des éditeurs de prestige comme SEGA ou Konami. En mettant un pied un peu plus profondément dans le milieu du jeu vidéo, les frères Stamper et John Lathbury décident rapidement de passer à l’étape suivante : créer leur propre studio de développement.

C’est ainsi que nait Ashby Computers and Graphics. Pourquoi ce nom ? Parce que les locaux du studio sont situés à Ashby de la Zouch. Petit point étymologie, Ashby signifie “établissement de frêne­” (Ash pour frêne en vieil anglois, et byr c’est établissement en norrois – une vieille langue scandinave), et “De La Zouch” est le nom d’un chevalier breton qui s’est installé là après la conquête normande en 1066. Dès sa création, Ashby Computer and Graphics se spécialise dans la création de jeux sur Zx Spectrum, un micro-ordinateur, accessible à un prix raisonnable que les frères Stamper ont vite appris à maîtriser. Pour raisons marketing, le studio se renomme Ultimate Play The Game, pour finalement être nommé “Ultimate” par les joueurs. C’est le début de la success story des jeux Ultimate sur ZX Spectrum, comme Jetpac, Sabre Wulf, ou Pssst. Précisons que Pssst est un vrai nom de jeu, où on incarne un robot qui repousse des insectes voulant attaquer des plantes.

Meilleur nom de jeu

En fin d’année 1983, Joël Hochberg, ancien employé de Associated Leisure, désormais chez Ultimate, revient du Japon avec une Famicom dans ses valises. Nous sommes 2 ans avant l’exportation de la console, sous l’appellation Nintendo Entertainment System ou NES en dehors de l’archipel, mais déjà Joel Hochberg sent le vent tourner dans le sens de la firme japonaise. À l’époque, pour sortir un jeu sur NES il fallait l’aval de Nintendo, ce qui ne s’obtenait pas avec une simple demande. Prêt pour le grand saut, les Frères Stamper obtiennent un entretien avec Minoru Arakawa, alors président de Nintendo of America. Nullement impressionné par leur CV, il leur demande de créer un prototype de jeu avant de leur accorder la moindre autorisation. Aucun kit de développement, aucun outil ne leur est remis pour programmer un jeu tournant sur la console. Mais cela n’arrête pas les Stamper qui démontent leur console fraîchement importée pour comprendre son fonctionnement et ses possibilités.

Forts de ces informations, il créent le jeu Slalom, un jeu de ski, dont la démo laisse Arakawa sans voix. De retour à Ashby de la Zouch, ils créent la structure Rare au sein d’Ultimate. Rare devient la partie du studio dédiée aux futurs développement sur console Nintendo, pour permettre aux restes des équipes de continuer à sortir des jeux sur ZX Spectrum ou Commodore 64. Peu de temps après, Ultimate est rachetée par une société au nom ostentatoire, US Gold, et Rare devient une société à part entière, libérée d’Ultimate. Malgré tout, les équipes développent quelques jeux qui sortent sur les micro-ordinateurs dont la cote baisse progressivement.

Rare s’est émancipé et il est temps d’écrire une nouvelle page de leur histoire avec Nintendo. Mais pour passer un cap il leur faut réussir à maîtriser le chipset sonore de la console. C’est dans cette optique qu’ils se rendent en septembre 1985 dans un magasin de musique. Perdus dans les rayons, ils demandent des renseignements sur la musique assistée par ordinateur. Heureusement pour eux, un jeune vendeur de 18 ans est appelé pour répondre à leurs questions. Ravi de pouvoir parler de sa passion, le vendeur leur propose même de leur montrer les capacités du synthétiseur FM du Yamaha CX5M avec ses propres compositions. Impressionnés par l’outil et la maîtrise du jeune garçon, ils lui proposent de rejoindre leur société dans l’optique de composer pour des jeux sur console Nintendo. C’est ainsi que Rare accueille, en ce jour de septembre 1985, David Wise, employé en free lance car toujours étudiant et trop jeune pour signer son premier contrat.

Pendant ce temps, Slalom, qui avait impressionné Minoru Arakawa sort officiellement sur borne d’arcade Nintendo. C’est le début d’une longue collaboration entre Rare et le géant du jeu vidéo japonais avec des titres mémorables comme Battletoads, Beetlejuice, A Nightmare on Elm Street (adaptation du film Les Griffes de la nuit). Le studio s’occupera aussi de quelques portages venus de l’arcade et du PC pour la Nintendo, comme Marble Madness, Silent Service ou Pirates. Fort d’un partenariat convaincant, Rare se permet en parallèle, même des portages sur Megadrive.

Battletoads, un jeu que Rare a sorti en disant « je croa en toi »

Ce qui nous amène à l’époque des consoles 16 bits, et de la confrontation entre la Megadrive et la Super Nintendo. Sur cette dernière, Rare se fait initialement très discret avec un seul jeu sorti jusqu’en 1994, Battletoads and the Battlemaniacs. Mais, le studio en gardait sous le coude pour mieux nous surprendre car, vers cette période, à l’abri des regards indiscrets, Rare fait l’acquisition d’une station de travail Silicon Graphics. C’est à ce moment que Nintendo fait au studio une proposition qu’il ne peut refuser, réveiller une licence endormie depuis trop longtemps : Donkey Kong. C’est un honneur pour le studio anglais et une sacrée pression d’être aux commandes du retour d’un personnage emblématique dans l’histoire de Nintendo. La firme japonaise mise gros et cela permet à Rare d’acquérir davantage de stations de travail SGI. La suite de cette histoire c’est la claque visuelle qu’est Donkey Kong Country. Suivi de deux jeux qui prolongent la licence. À l’écart  des aventures gorilles, Rare sort un autre jeu, bénéficiant lui aussi de leur maîtrise technique des outils SGI, un jeu de combat aux animations impressionnantes pour l’époque : Killer Instinct.

Après ces succès, d’estime et critique, Rare veut s’attaquer à un autre projet : la 3D. Et ça tombe bien parce que Nintendo souhaite aussi passer ce cap avec sa prochaine console.

Vivre et laisser mûrir

Nous voilà arrivé à l’automne 1994. Durant un événement promotionnel pour Donkey Kong Country, les frères Stamper rencontrent les équipes de tournage de Goldeneye, le nouveau film de la licence James Bond. De fil en aiguille, ils discutent de la possibilité de faire une adaptation du film en jeu vidéo. La production du film donne son aval, Rare se tourne vers Nintendo qui en fait de même.

Goldeneye, le film, (le jeu s’appelant lui Goldeneye 007, ce qui évitera tout malentendu dans l’article), signe le retour de James Bond sur les écrans après six ans de silence et Permis de Tuer. À cette occasion, l’acteur incarnant le célèbre agent secret change une nouvelle fois, et c’est Pierce Brosnan qui enfile le costume iconique. Il s’agit du 17e film officiel de la licence et de son absence la plus longue. Depuis son arrivée au cinéma, maximum 3 années avaient séparé deux films James Bond de 1974 à 1977, entre L’Homme au pistolet d’or et L’Espion qui m’aimait. L’arrivée de Goldeneye était donc très attendue par les fans. Pour autant la sortie (initialement voulu concomitante), d’un jeu adaptant le film n’était perçue positivement ni par la production, ni même par Rare. Au milieu des années 90, les jeux adaptés de film ont la réputation de profiter d’un nom prestigieux pour offrir un résultat souvent critiqué. Ce qui explique que Rare ne décide pas de monter une simili dream team sur le projet.

C’est l’occasion rêvée pour Martin Hollis de monter en grade. Formé aux sciences informatiques à Cambridge, il rejoint Rare en 1993 avec sur son CV un an de travail sur des outils de tracking marins. Sans grand espoir, il ne sait pas que sa maîtrise de la 3D en informatique va pousser Rare à lui ouvrir grand ses portes, pour engager ce qu’ils estiment être le lien parfait entre la société et les outils de Silicon Graphics récemment obtenus. Après un poste de second programmeur sur la version arcade de Killer Instinct, Martin Hollis papillonne d’un projet à l’autre pour donner des coups de main sans être réellement affilié à un jeu en particulier. Fan de la licence James Bond, il débarque plein d’audace dans le bureau des frères Stamper après avoir appris l’acquisition de la licence par Rare, pour demander à diriger le projet. Savait-il à ce moment-là que les frères Stamper n’avaient aucune idée de qui mettre à ce poste ? Toujours est-il qu’au terme de leur entretien, tout le monde était ravi de la conclusion.

Cette absence d’élan motivationnel au sein de Rare vis à vis du jeu, va permettre à Martin Hollis d’aller piocher des jeunes talents dans les équipes dédiées à différents projets. Souvent de jeunes employés qui y voyaient un moyen de montrer leur talent d’une manière un peu plus visible. Duncan Botwood, Mark Edmonds, Karl Hinton, Brett Jones (pour qui il s’agit du premier projet) et un peu plus tard Steve Ellis forment le premier noyau de l’équipe. En cours de développement Martin Hollis recrute David Doak, qui travaillait sur des machines Silicon Graphics avant de voir une annonce de recrutement dans le magazine Edge. Sa maîtrise des stations de travail Onyx s’avérera être un réel atout dans le développement du jeu.

Photo de la dream team inattendue, postée par Martin Hollis lui-même sur son compte Twitter

Le projet démarre en janvier 1995, la Nintendo 64 n’est pas encore sortie mais son existence n’est plus un secret. D’ailleurs, chez Rare, certaines équipes travaillent déjà sur un jeu destiné à sortir sur la future console de salon de Nintendo : Killer Instinct Gold, adaptation du jeu d’arcade Killer Instinct 2. Pour autant, Goldeneye 007 est initialement prévu pour la Super Nintendo. L’idée initiale était celle d’un jeu de plateforme reprenant des sprites dans le style de Donkey Kong Country. Fort heureusement, cette idée va vite laisser place à une nouvelle feuille de projet. Martin Hollis va profiter de sa maîtrise des outils de Silicon Graphics pour proposer aux Frères Stamper un rail shooter destiné à la Nintendo 64. Son inspiration première étant Virtua Cop, qui à ce moment faisait briller les yeux des joueurs d’arcade. Hollis projette même de programmer des ennemis plus réactifs et intelligents que dans le jeu de Sega, ainsi que des options d’interactivité via des gadgets iconiques des films James Bond.

C’est parti pour le rail shooter Goldeneye 007. Mais il y a plusieurs petits soucis : 

  1. Nintendo n’a absolument pas communiqué sur un accessoire de type arme pour sa future console. Pas de Nes Zapper comme il avait pu y avoir pour Duck Hunt, ou de Super Scope comme la Super Nintendo avait pu connaître
  2. Nintendo n’a toujours pas présenté la manette de sa future console, ce qui oblige les équipes à travailler sur le gameplay du jeu en utilisant une manette de Sega Saturn
  3. L’équipe de Martin Hollis n’a aucun kit de développement pour la console. Il leur faut donc créer le jeu à partir d’une station de travail Onyx de chez Silicon Graphics, censée être ce qui se rapproche le plus du futur hardware de la Nintendo 64. Mais sans aucune garantie.

Ce dernier point est l’occasion de relater une petite anecdote. En début de développement de Goldeneye 007, Martin Hollis se rend dans les locaux de SGI pour faire des tests sur place en utilisant la future puce destinée à la Nintendo 64. Agacé par un bug, il farfouille le code de la station censée être un prototype du futur hardware de la console. Au fil de ses recherches, il tombe sur une erreur à l’origine d’importantes problématiques de fréquence d’image. Sa découverte permet aux équipes de SGI de corriger le tir avant une production à grande échelle qui aurait engendré des conséquences impossibles à évaluer. Sans Martin Hollis, qui sait quelle aurait été la destinée de la N64 ?

Pendant ce temps à Ashby de la Zouch, certains membres de l’équipe du jeu préparent leurs affaires pour se rendre sur les sites de tournage anglais de Goldeneye, à Leavensden au nord de Londres, dans la ville de Watford. Cela leur permet de prendre en photo les décors du film pour les recréer dans le jeu. Brett Jones, costume designer, récupère des photos des acteurs et actrices pour modéliser les visages des personnages. Mais la majorité des personnages que l’on croise dans le jeu sont des soldats lambda et il lui faut plus de matières. Pour cela il décide de modéliser les visages des employés de Rare, à l’exception des frères Stamper qui refusent de se prêter au jeu. Puis, il programme le jeu pour qu’au début de chaque niveau, ce dernier pioche au hasard 5 visages dans sa base de données pour les appliquer aux soldats.

La sortie de la console sera une révélation et une douche froide pour l’équipe de développement. La révélation vient de Super Mario 64, de sa gestion de la 3D et de la caméra qui pousse Martin Hollis à se demander s’il ne serait pas possible d’offrir une vraie liberté de déplacement au joueur. Cela implique beaucoup de travail car un rail shooter permet de ne créer que les décors que l’on veut imposer aux joueurs, là ou un déplacement libre implique de créer des cartes entières. Mais l’opportunité est trop belle. Et Goldeneye 007, après avoir été pensé comme un jeu de plateforme sur SNES, puis un rail shooter sur N64 devient le jeu que l’on connaît aujourd’hui.

Les zones de collision, les douilles, les armes qui tombent, les impacts de balle sur les murs. Le souci du détail !

Le résultat final garde des stigmates de son passé, et il suffit de passer en mode visée pour avoir l’impression de jouer à un rail shooter avec le joystick qui ne sert plus à déplacer Bond mais le viseur de notre arme. Il est possible de se décaler un peu ou de se baisser avec les flèches directionnelles jaunes de la manette, notamment pour se cacher derrière une caisse. Ces dernières sont foison tout au long du jeu, car elles devaient servir de couverture pour James et ses ennemis. Mais afin de booster le dynamisme du jeu, il fut décidé de rendre ces caisses explosives après un certain nombre d’impacts, avec en plus un effet domino pour les caisses trop proches les unes des autres. Quant au niveau Frégate avec ses nombreux otages, il est l’exemple parfait de l’inspiration Virtua Cop et du passé rail shooter du jeu. 

Il était question d’une révélation, mais aussi d’une douche froide. Et ce coup de massue vient des capacités de la console qui ne présente une puissante équivalente qu’à 75% de ce qui était annoncé et ce sur quoi l’équipe travaillait avec la station Onyx de Silicon Graphics. Il est temps de faire des sacrifices et de se montrer malin pour limiter la casse. L’équipe va alors faire preuve d’ingéniosité. Les couleurs sont ternies, le brouillard iconique de la N64 imprègne plusieurs niveaux du jeu, et sera coloré en vert pour faire le gaz toxique (c’est toujours ça d’économiser d’utiliser le brouillard de la console comme solution graphique). Certains niveaux sont découpés en deux parties. Si vous vous demandiez pourquoi dans Dam, le premier niveau du jeu, il faut fermer la porte derrière le camion avant de pouvoir ouvrir la suivante c’est parce que ça demande à la console de supprimer la première moitié du niveau pour avoir la place de charger la seconde. Les niveaux Surface et Bunker se passent exactement au même endroit, certaines cartes sont réduites, dans leur espace jouable, mais des reliquats demeurent comme l’île de Dam visible avec un fusil sniper depuis le barrage du premier niveau et qui devait être accessible en bateau. Heureusement, tout n’est pas sacrifié sur l’autel du hardware déceptif.

En découvrant Super Mario 64, Martin Hollis découvre le principe des étoiles dans les différents tableaux du jeu. Plusieurs objectifs peuvent permettre à Mario de récupérer l’étoile tant convoitée. Transposant ce concept à Goldeneye 007, l’équipe décide d’incorporer un système d’objectifs au jeu qui y gagne au passage ses petits dossiers de briefing. Il n’est désormais plus seulement question d’éliminer tout le monde, mais il faut aussi réaliser certaines tâches précises (variables selon les niveaux de difficultés) pour que les missions soit validées.

Malgré un développement complexe et des sacrifices inéluctables, Goldeneye 007 est une révolution. L’IA des ennemis en poussent certains à se cacher pendant que d’autres vont courir vers l’alarme la plus proche. Goldeneye 007 poussait aussi le joueur à jouer la discrétion avec son système d’alerte sonore, différent des alarmes. Au fil des niveaux on découvre de nombreux ennemis, éparpillés dans des salles optionnelles, qui resteront sagement à leur poste, sauf en cas d’alerte sonore. Ces alertes correspondent à toute explosion, mais aussi à tout tir maintenu hors pistolet silencieux, de la part de Bond ou de ses ennemis. Il est donc fortement recommandé, surtout en difficulté Agent 007, de bien connaître les cartes, et d’utiliser les fenêtres du jeu qui nous permettent de connaître le positionnement des ennemis pour planifier l’approche la plus efficace, rapide, et silencieuse que possible. Dans le cas contraire, les ennemis ne se privent pas de débarquer en nombre, même à distance de leur positionnement initial pour nous traquer.

Discrétion avant tout !

Loin de s’arrêter à ce stade en terme d’innovation, Goldeneye 007 propose un système de collision novateur. Dans le jeu de Rare,un tir dans le torse, le bras, ou les jambes d’un ennemi fait apparaître un saignement sur la zone touchée, et peut entraîner une réaction différente de la cible. Il est même possible de tirer sur les armes pour désarmer les ennemis. Ce système de désarmement est aussi présent dans les jeux Virtua Cop. Mais là où Goldeneye 007 est révolutionnaire c’est dans l’application de ce système de collision à la tête des ennemis. En cas de tir à la tête, une seule balle est nécessaire pour tuer un ennemi. Avec ce concept, Martin Hollis et son équipe créent le headshot. Et rien que pour ça, Goldeneye mérite sa place au Hall of Fame du jeu vidéo.

Mais si le jeu a une place à part dans le cœur des joueurs aujourd’hui c’est aussi pour son mode multijoueur. Et son histoire est loin d’être banale. Au printemps 97, le jeu est quasiment fini. Il accuse un retard important et à déjà coûté 2 millions de dollars à Rare. Un comble pour un jeu auquel personne ne semble croire dans le studio anglais en dehors de son équipe de développement. Mais cette pression ne dérange pas Steve Ellis, qui décide, un soir, dans son coin, de s’amuser avec le code du jeu pour y implémenter un système multijoueur. La N64 possède 4 ports manette, pourquoi ne pas tenter le coup ? Avec l’aval de Martin Hollis, il va au bout de son idée, sans que jamais les frères Stamper ni Nintendo ne soient informés de cela, par peur d’un refus qui signerait la fin de ce mode. Les cartes de jeu introduites dans ce mode sont tassées pour limiter la place prise sur la cartouche, mais elles ont la caractéristique d’être presque toutes haut de plafond. Cela est lié au fait que Steve Ellis était fan du lance-grenade. Afin de pousser les joueurs à donner plus de crédits à son arme favorite, Steve Ellis opte pour une topographie des cartes qui permet de profiter au mieux de cette arme. Pour limiter l’espace mémoire accaparé par ce mode tout en offrant un minimum de contenu, certaines cartes multijoueurs existent sous 3 formes distinctes, fusionnées ou découpées, comme Library, Basement, et Stack qui sont la même carte, sur deux étages ou un seul. Jusqu’au bout, ce mode multijoueur ne sera connu que d’une poignée de membres de l’équipe et la surprise n’en est que plus grande à la sortie du jeu.

Goldeneye 007 est un jeu adapté du film éponyme, mais pour Martin Hollis il était hors de question de faire une simple adaptation des événements se déroulant dans le film. Cela explique les nombreux écarts que prend le scénario du jeu. Pour Hollis, cette opportunité de créer un jeu James Bond est unique et il décide d’en profiter à fond en ajoutant des références aux précédents films tout au long du jeu. Les fameux dossiers de briefing arborent un titre OHMSS pour On Her Majesty Secret Service, et une partie For Your Eyes Only, Rien que pour vos yeux. Les visages des précédents acteurs ayant incarnés Bond avaient aussi été modélisé, mais pour des raisons de droits ils ne furent jamais accessibles en jeu (les modélisations sont toujours dans le code du jeu). Le multijoueur possède plusieurs modes de jeu qui portent tous des noms de films James Bond, les différents types de jouabilité portent des noms de James Bond Girl. Plusieurs avatars jouables en multijoueur reprennent les traits de personnages iconiques de la licence et de nombreux gadgets utilisés pour les missions de James au fil du jeu proviennent d’anciens films comme la montre aimant.

La musique qui allait avec cet écran est dans ma mémoire à jamais

Pour la composition musicale du jeu, c’est Graeme Norgate qui est recruté. Auparavant employé de banque, il composait de la musique sur son temps libre. La musique électronique et de jeux vidéo le passionne après son écoute de la bande son de Monty on the run sur Commodore 64, composée par l’un des plus grands noms du domaine, Rob Hubbard. Il rejoint Rare en 1994, débute avec Robin Beanland sur la version arcade de Killer Instinct et se retrouve sur deux projets en même temps pour la Nintendo 64, Blast Corps et Goldeneye 007. En l’absence de kit de développement, il compose plusieurs thèmes du jeu sur table de mixage, qu’il convertit plus tard lors de l’obtention du fameux kit. La compression sonore de la N64 ne faisant pas de prisonnier, il faut se pencher sur la version remastered des musiques du jeu pour imaginer au mieux à quoi ressemblait le travail de Norgate à l’origine. Débordé par les deux projets Blast Corps et Goldeneye 007, il fait appel à Robin Beanland, mais surtout Grant Kirkhope pour l’aider.

Grant Kirkhope a toujours été bercé dans la musique. Sa mère était danseuse de music-hall, et son père le colle devant une guitare et une trompette à partir de ses 11 ans. Il rejoint plusieurs groupes au cours de ses études, et intègre notamment le Royal Northern College of music. En octobre 1995 il rejoint Rare et débute en faisant les arrangements du jeu arcade Killer Instinct pour son portage sur Game Boy, puis Donkey Kong Land. Par la suite, chez Rare, il sera l’homme derrière l’incroyable Donkey Rap de Donkey Kong 64. Mais ne sera même pas crédité par Nintendo au générique de Super Mario Bros. le film malgré l’utilisation du DK Rap. Toujours dans le milieu, il possède aujourd’hui un CV impressionnant avec Banjo et Kazooie, Perfect Dark, Starfox Adventures où l’on peut l’entendre jouer directement de la guitare, et en dehors de Rare, l’extension Shadowlands de World of Warcraft, Civilization Beyond Earth et récemment on a pu le retrouver dans les crédits des deux jeux Mario + The Lapins Crétins sur Switch.

Pour Goldeneye 007, la tâche n’était pas simple. Il fallait rester dans l’ambiance 007, coller à la création d’Eric Serra pour le film, et que le résultat soit encore qualitatif après être passée à la moulinette de la puce sonore de la N64. Et on peut dire que le résultat est positif, avec des thèmes iconiques. Sans même énoncer les musiques de tous les niveaux du jeu, il suffit de souligner la qualité des musiques du briefing ou du menu pause pour réaliser à quel point cette bande son vaut son pesant d’or.

Désolé je n’ai pas trouvé d’image nette du stand Goldeneye 007 à l’E3 1997

Nous voilà en 1997, et Goldeneye 007 est prêt à sortir, dans les temps pour la sortie au cinéma de… Demain ne meurt jamais. Pour ne rien aider, la prise de température peu de temps avant la sortie, lors de l’E3 1997 n’a rassuré personne. Le jeu n’a pas intéressé beaucoup de monde et le retour en Angleterre s’est fait sous le brouillard du doute, ou de la Nintendo 64, à vous de voir.

Il faut dire que lors de cette édition la compétition était rude. Half-Life, Unreal, Quake 2, rien que du côté des jeu de tir à la première personne, mais aussi Metal Gear Solid et la bêta d’Ocarina of Time. C’était un peu le buffet des dieux. Il y avait aussi Duke Nukem Forever, mais on ne va pas tirer sur une ambulance qui n’a plus que deux roues,un capot en feu, qui roule sur le toit, et dont le pot d’échappement frotte sur le sol.

Les espoirs étaient bas, mais l’équipe croyait en sa création. Et si les premiers mois de ventes douchèrent initialement leurs espérances, l’avenir leur donna raison. Après un démarrage très poussif, le jeu termine 3e meilleure vente sur la N64, juste derrière Super Mario 64 et Mario Kart 64, mais devant Ocarina of Time. Il se paye même le luxe d’être le jeu N64 le plus vendu aux US.

Pour Rare c’est le début d’une belle histoire avec la console Nintendo, qui verra sortir des jeux comme Diddy Kong Racing, Donkey Kong 64, Conker’s Bad Fur Day ou Jet Force Gemini. La suite est moins radieuse. Pour supporter des coûts de développement de plus en plus élevés, Rare cherche de l’aide du coté de Nintendo qui fait mine de ne rien entendre. Une aubaine pour Microsoft qui rachète le studio pour 375 millions de de dollars, avec à l’époque comme concurrent au rachat Activision. Comme quoi les temps changent.

Au fil de mésaventure, Rare perd de son aura et n’est plus qu’un développeur lambda pour beaucoup de jeunes joueurs. Mais dans nos cœurs à jamais résonnent les rires de nos parties multijoueurs, avec le pistolet d’or, les mines de proximité, les lancers de couteaux, les coups de manchette et les concours de mauvaise foi. Et c’est pour notre plus grand plaisir que le jeu est ressorti sur Xbox en version remastérisée, et dans sa version classique Switch, pour raviver la nostalgie des anciens et se révéler à une nouvelle génération qui n’a pas connu l’époque des jeux de tir en multijoueur à quatre ne nécessitant pas de connexion internet.

Valentin C

Bibliographie :

L’Histoire de la Nintendo 64. La plus américaine des consoles japonaises, Patrick Hellio, Third Editions, 2023

Hors-série Nintendo 64, JV Le Mag

Anthologie Nintendo 64, Mathieu Manent, 2020

L’Histoire de Rare – Volume 1 et 2, Regis Monterrin, Pix’n Love, 2019

Pix’n Love #26 – GoldenEye, 2014