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Le Camée.222 de la BnF : une pierre emblématique et intemporelle

         Image de couverture : capture d’écran issue de la vidéo « Le « cabinet de curiosités » des rois de France | La #BnFDansMonSalon. », disponible sur ce lien.

          Avec la réouverture du Musée de la Bibliothèque nationale de France sur le site mythique de la Rue de Richelieu, c’est une sélection d’œuvres issues des immenses réserves qui est présentée au public chaque jour (avec bien entendu des rotations pour les plus fragiles provenant du Département des Manuscrits ou des Estampes et de la Photographie). Parmi ces œuvres, un grand nombre représente les collections du Département des Monnaies, Médailles et Antiques à travers diverses typologies : nous nous intéresserons aujourd’hui aux pierres gravées et plus particulièrement à l’une d’entre elle, connue sous le numéro d’inventaire Camée.222.

           Ce camée, un terme qui désigne les pierres semi-précieuses gravées en relief, est exposé dans une des vitrines du cabinet précieux ou salle Sisley-d’Ornano, et est réputé représenter le souverain hellénistique Alexandre le Grand. Avant d’arriver à ce que cette pierre représente véritablement, il convient d’expliquer plus précisément la naissance de la production des pierres gravées et l’histoire de ces petites œuvres, pourtant très recherchées.

Photo du Camée.222 dans la vitrine du musée. © Salomé Legrand, 2022

A l’origine, les premières pierres gravées connues nous viennent de civilisations orientales anciennes, notamment en Mésopotamie dans les premiers millénaires précédant notre ère. Ces pierres, appelées intailles, étaient gravées en creux dans des matériaux semi-précieux, la plupart du temps de couleurs variées et appréciables à l’œil. La pratique de la gravure des intailles s’est ensuite répandue en Méditerranée, notamment chez les Grecs, et c’est dans ce même contexte que naissent les pierres gravées en relief – ou camées – dans les tous derniers siècles avant notre ère, à partir du IIIe ou IIe siècle av. J.-C.  Les camées étaient taillés dans des matériaux également semi-précieux, souvent des pierres polychromes afin de jouer avec la profondeur du relief et de la représentation sur les couches de différentes couleurs du matériau.

            La fonction de ces pierres est plus ou moins certaine : pour les intailles, il n’est pas rare qu’elles aient eu le rôle de sceau pour un dignitaire, une grande personnalité de la vie politique, religieuse ou un aristocrate. Plus tard apparaissent aussi les intailles magiques, ayant une fonction liée encore une fois à la religion. Pour les camées, la question est plus délicate puisque la taille en relief ne permet pas l’utilisation comme un sceau : on peut donc penser à une fonction de cadeau d’un souverain à ses proches, de riche offrande en contexte religieux ou encore de bijou ostentatoire. On peut pour cela essayer de se fier à l’iconographie présente sur ces pierres, mais lorsqu’il s’agit de pierres représentant des personnages seuls pouvant s’apparenter à des souverains l’identification est difficile même en ayant recours à de nombreuses comparaisons : la prudence est donc souvent de mise.

            Pour parler donc plus précisément du Camée.222, il est un des joyaux de la BnF par sa représentation supposée du souverain macédonien Alexandre le Grand. Il est remarquable aussi par sa taille très réduite, en comparaison notamment avec le Grand Camée de France (exposé à la BnF dans la Galerie Mazarin) ou la Coupe des Ptolémées (exposée dans le vestibule de la Galerie Mazarin). De manière générale, les pierres gravées antiques sont impressionnantes par la qualité et la précision du travail et des détails sur des œuvres de très petites dimensions : celle-ci n’y échappe pas, on observe de près les mèches de la chevelure et les cornes de bélier qui s’y cachent.

Détail de la chevelure et de la monture du Camée.222. Capture d’écran issue de la vidéo « Le « cabinet de curiosités » des rois de France | La #BnFDansMonSalon. », disponible sur ce lien.

            Ce sont précisément la nature ondulée de ces mèches, leur placement et les cornes de bélier qui orientent vers l’identification du jeune Alexandre le Grand sur ce camée. De plus, on connait du vivant du souverain macédonien le graveur de pierres chargé de tailler son portrait sur des pierres semi-précieuses : Pyrgotélès. Cependant, dans l’état actuel de la recherche autour des camées, leur naissance se situe plutôt à partir du IIe siècle avant notre ère, soit presque deux siècles après la vie d’Alexandre le Grand ; il est fort peu probable que ce camée ait été réalisé du vivant du fils de Philippe II mais il peut tout de même en être une représentation idéalisée, renvoyant avec les cornes de bélier à sa visite à l’oasis de Siwa en Egypte.

            Une autre caractéristique remarquable de cette pierre gravée, qui renvoie à son histoire à l’époque moderne, est la monture ronde émaillée et dorée qui l’entoure : réalisée par l’orfèvre Josias Belle pendant le règne de Louis XIV, cette monture témoigne de l’intérêt porté par les souverains – et les riches érudits de manière plus générale – aux pierres gravées antiques. Cette dynamique d’appréciation n’est pas nouvelle, on connait des pierres gravées collectionnées déjà par la famille Médicis et traitées avec un soin particulier, des pierres réutilisées dans les trésors des églises également ou des copies faites dès l’époque romaine dans des matériaux comme le verre, pour montrer l’appréciation de l’œuvre originale. Cependant, cette pierre occupe un statut particulier puisqu’elle faisait partie des collections de Louis XIV, arrivée par legs en 1661 de la collection de Gaston d’Orléans ; on peut même retracer son histoire jusqu’à la collection de Pierre-Paul Rubens, qui a ensuite été possédée par le duc de Buckingham. Le Camée.222 fait partie d’un certain nombre de pierres gravées, particulièrement appréciées de Louis XIV, pour lesquelles une monture a été commandée à Josias Belle, qui était à l’époque l’orfèvre officiel du roi.

            Cette appréciation n’était pourtant pas uniquement esthétique, par le biais de l’enrichissement de l’œuvre, car les collections royales permettaient au souverain de montrer sa connaissance des mythes et souverains antiques par le biais de l’iconographie des pierres. On comprend également qu’une collection de pierres savamment sélectionnées pour les empereurs ou dynastes antiques représentés permettait à la personne les possédant de se légitimer dans son pouvoir, de se comparer à ces modèles politiques antiques. Enfin, ces collections étaient des réserves monétaires ou de cadeaux – on retrouve effectivement le même rôle que celui supposé à l’époque antique – pour les souverains de nations étrangères ou lors de périodes financièrement difficiles.

            Le camée.222 est donc une pierre importante à la fois pour l’époque antique, par son iconographie supposée mais également pour son travail raffiné et la production plus générale qu’elle incarne, mais aussi pour l’époque moderne puisqu’il représente toutes les dynamiques d’appréciation des pierres gravées antiques à l’époque moderne, en particulier grâce à son appartenance aux collections royales françaises – aujourd’hui conservées à la BnF. Ces productions antiques de pierres gravées ont inspiré des productions postérieures de peu, chez les Romains notamment, mais aussi des millénaires après à l’époque moderne : des exemples de celles-ci sont visibles dans les autres vitrines de la salle Sisley-d’Ornano du musée de la BnF !