La réalité d’une jeunesse rurale qui lutte pour ses territoires
La jeunesse rurale n’est pas homogène sur le territoire français. Des facteurs géographiques, financiers ou personnels influencent la vie de chaque individu. Ainsi, elle est multiple. Toutefois, en observant ces différentes jeunesses, certaines similarités et difficultés communes peuvent se dégager. Cet article tente de les mettre en lumière. D’autant que cette jeunesse reste invisible dans les médias ou les discours publics. Lorsque sont évoqués « les jeunes », comme s’il s’agissait d’une catégorie homogène, il est principalement fait référence aux jeunes urbains. Lorsque le monde rural, lui, est évoqué, le discours se concentre avant tout sur la thématique de l’agriculture.
Une jeunesse qui se démarque de la jeunesse urbaine
A l’image des jeunes urbains, les 1,2 million de jeunes ruraux apparaissent également connectés au monde par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Ils ne sont nullement déconnectés. Ils regardent les mêmes séries, les mêmes émissions ou les mêmes sports. Cependant, ils se démarquent de leurs homologues urbains sur plusieurs points. Sur un plan professionnel, ils se démarquent par une insertion plus précoce du fait de leur choix de privilégier davantage les cursus professionnels après la dernière année de collège. Ils étaient 50%, en 2017, à privilégier ce type de cursus, contre 40% pour les urbains.
D’un point de vue personnel, à l’inverse de certaines grandes villes où l’individualisme peut sembler régner, les jeunes ruraux se différencient par un fort attachement à une communauté ou un territoire. Depuis leur naissance, ils côtoient la même communauté d’individus, qui habite le même lieu depuis plusieurs générations et partage les mêmes valeurs, traditions et visions du monde. Ils peuvent vivement s’y impliquer, en développant des associations ou en organisant des évènements, afin de renforcer les liens sociaux. Cette implication joue un rôle majeur lorsqu’arrive le moment des décisions concernant leur avenir professionnel, puisqu’ils sont divisés entre rester dans leur village, là où ils ont toujours vécu, et partir avec toujours l’envie de revenir.
Cependant, qu’ils partent ou qu’ils restent, ces jeunes gardent toujours les mêmes revendications depuis plusieurs décennies. “L’une d’entre elles consiste à s’assurer que les populations rurales bénéficient des mêmes opportunités […] que tout le monde”, expliquait Daniel Grist, responsable Communication de l’ONG Rural Youth Europe, lors d’un entretien accordé au média Euractiv au sujet de la jeunesse rurale européenne.
Des difficultés persistantes pour la jeunesse et les territoires
Les revendications de la jeunesse rurale peuvent être multiples et différentes selon les territoires. Néanmoins, cinq grandes catégories semblent ressortir dans leurs discours : les infrastructures, les mobilités, les salaires, l’emploi, l’éducation et le logement.
Concernant les infrastructures, aussi bien sportives que culturelles, les jeunes urbains peuvent jouir de l’accès à des piscines, des gymnases, des dojos et autres terrains sportifs. La réalité est tout autre dans le monde rural. Souvent, dans ces territoires, ces équipements sont inexistants ou limités à un seul type de sport. Alors, les jeunes peuvent se retrouver dans une situation d’isolement sans avoir d’activités collectives pour s’occuper. Quant aux infrastructures culturelles, leur manque engendre de fortes inégalités intellectuelles et académiques avec les jeunes habitants des zones urbaines. En 2017, selon le Conseil Economique Social et Environnemental, « 34 % seulement des jeunes ruraux accèdent aux bibliothèques contre 46% pour les urbains ». Toutefois, encore faut-il pouvoir s’y rendre.
Certainement, les problèmes de mobilité y sont criants et cela engendre de multiples difficultés. Pour exemple, un grand nombre de jeunes en milieu rural ne peut se rendre à un entretien professionnel faute de moyen de transport. Encore aujourd’hui existent des départements en manque de moyens autoroutiers ou ferroviaires. C’est le cas de l’Ardèche, seul département ne possédant pas de gare ferroviaire en France. Dans ces zones, la voiture est reine. La raison principale est qu’il est impossible de se déplacer sans une voiture puisque les transports en communs sont insuffisants ou inefficaces, voire parfois, inexistants.
Par conséquent, obtenir le permis de conduire et acheter une voiture sont des enjeux primordiaux pour chacun de ces jeunes. Du fait de l’augmentation récente des prix des carburants, cette dépendance a récemment été soulignée, sur les antennes de France Bleu Berry, par Philippe Moisson, président de l’association des maires du Cher : « c’est la double peine, parce que malheureusement on n’a pas de moyens de substitution ». Cette réalité s’est heurtée à la volonté gouvernementale, en 2018, de taxer davantage le carburant. Une décision motivée par des enjeux écologiques et déconnectée de la réalité des territoires. L’augmentation du prix du carburant frappe inégalement la population française, les ruraux en première ligne. Cette injustice fut l’étincelle qui enflamma la contestation qui engendra le mouvement des « Gilets Jaunes ».
Dans ce contexte d’inflation, certains jeunes observent une augmentation des prix mais, en parallèle, une stagnation de leurs salaires. Dans les villes urbaines, du fait des prix plus élevés, et de la concurrence entre les entreprises pour recruter, les salaires le sont également. Dans les territoires ruraux, c’est tout à fait l’inverse. Une partie des emplois sont moins qualifiés et sont soumis à des bas salaires, le marché de l’emploi est fragmenté et il n’existe pas de concurrence, entre entreprises, qui permettraient une valorisation de ces salaires. Résultats, les jeunes de ces régions ont dû mal à trouver un emploi qui leur offrirait une meilleure rémunération et sont poussés à rejoindre les grandes villes. C’est le cas de Bordeaux et Toulouse qui aspirent les jeunes provenant de zones rurales du Sud-Ouest.
Pour certains habitants du monde rural, l’une des solutions à cette désertification entrepreneuriale pourraient passer par l’obtention, de la part de jeunes locaux, de diplômes qualifiants et qui permettrait une lutte contre l’autocensure. Toujours selon les chiffres du CESE, en 2017, seulement « 7,3 % des jeunes ruraux possédaient un diplôme universitaire de 2d ou 3e cycle ». L’une des principales raisons est donc cette autocensure. Par manque de moyens, d’aptitudes ou d’informations sur ces types de formation, les jeunes du monde rural s’empêchent de réaliser des études supérieures en Grandes Ecoles ou Universités. Par conséquent, l’écart avec leurs homologues urbains tend à se creuser. Certaines associations désirent lutter contre cet état de fait et venir en aide à cette jeunesse. C’est le cas de l’association Des Territoires aux Grandes Ecoles. Elle regroupe d’anciens diplômés de Grandes Ecoles ou Universités issus de territoires ruraux et, du Calvados au Béarn, viennent en aide à ces jeunes ruraux en quête de nouvelles perspectives académiques.
Enfin, le logement. Alors que par le passé les ruraux avaient tendance à devenir propriétaire plus tôt que les jeunes urbains, le marché de l’immobilier dans ces zones, dont les prix peuvent s’envoler, restreint de plus en plus ce premier achat. L’une des principales raisons est liée aux néo-ruraux, ou ces anciens urbains qui décident de quitter la ville pour la campagne. Selon le magazine Capital, entre septembre 2020 et septembre 2021, les zones rurales ont été le moteur principal de la croissance du marché, avec +6.4% contre +4.1% pour les dix plus grandes villes hors Paris. L’arrivée de néo-ruraux qui ont davantage de moyens financiers que ces jeunes fait augmenter significativement les prix et, en conséquence, repoussent les jeunes locaux du marché, cristallisant les critiques.
De premières initiatives
De nombreuses collectivités, comme celles de la Région Nouvelle Aquitaine, qui compte de nombreux départements ruraux, ont commencé à prendre ces problèmes à bras le corps. En effet, puisque ces questions concernent l’ensemble de leur population, jeunes et moins jeunes, de ces territoires. Il s’agit donc de répondre à ces problématiques et développer leur territoire afin de garder et attirer des administrés.
Dans cette optique, des Maisons de jeunesse et autres équipements sont sortis de terre dans la région. Pour illustrer cette démarche, le village de Saint-Faust, dans les Pyrénées-Atlantiques, a ouvert récemment une salle de travail pour les télétravailleurs. L’idée étant de faire vivre la communauté par des moyens qui répondent aux nouvelles demandes des jeunes travailleurs. D’autres collectivités, comme la Mairie de Blasimon en Gironde, ont créé un conseil municipal des jeunes afin de connaître leurs demandes.
Néanmoins, un décalage existe entre l’action des collectivités locales et celle de l’Etat. La plupart de ces jeunes attendent de l’Etat de plus grandes actions et ne se sentent pas considérés par les politiques mises en place au niveau national. En résulte une défiance profonde, “92% des jeunes ruraux n’ont pas confiance dans le politique”. Certains, en 2022, assisteront probablement aux élections présidentielles avec réalisme et sans grandes attentes.