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Faut-il continuer la notation à la française ?

Outre la sécurité ou encore les retraites, l’éducation nationale est également un grand sujet en période électorale même si elle est reléguée au rang des sempiternelles réformes administratives internes et, on peut le dire, camouflée. Toutefois, ce qui entre en ligne de compte, sont les modalités d’enseignement ou parfois le nombre de professeurs qu’il faut évaluer à la hausse ou à la baisse. Et à l’heure où les étudiants sont pour la plupart en train de candidater pour les masters où les notes constitueront l’un des facteurs déterminant, explorons aujourd’hui une phase peu abordée dans ces débats : la pertinence des notes dans le système scolaire français.

Le bilan de la notation à la française

La notation de l’école primaire (jusqu’à récemment) au cursus universitaire constitue le point central du rythme des écoliers, collégiens, lycéens et étudiants. Une sorte de baromètre général influant aussi bien sur leur niveau scolaire, leur humeur ou encore leur anxiété.

Toujours vues comme l’unique moyen de niveler le niveau des élèves par le haut à travers une concurrence vertueuse et poussée, la notation constitue le moyen accepté par le plus grand nombre pour déterminer le niveau d’un élève à un instant donné et dans un champs de compétence donné.

Toutefois, selon le sociologue spécialiste de la notation française Pierre Merle, beaucoup d’inconvénients se dressent pour faire émerger un bilan négatif de la notation : entre une correction différente d’un correcteur à l’autre ou les biais sociaux de la notation, ce qui ressort est la reproduction évidente des difficultés accentuée par la notation. Un cercle vicieux qui met à mal l’apprentissage d’un élève qui est cataloguée comme «mauvais».

Il convient de relever l’énorme pression qui peut s’avérer contre-productive pour un élève en apprentissage qui est plus obnubilée par avoir de bonnes notes que de savoir réellement ce qu’il apprend et assimile. Et il a raison parce que tout porte à croire que le système sélectionne les meilleurs techniciens et non pas les meilleurs penseurs.

Et d’ailleurs si rien ne change à ce niveau là c’est parce que le changement serait énorme pour les professeurs qui construisent leurs enseignements selon cette notation finale et aussi parce que ce sont les «vainqueurs de la compétition scolaire» qui parviennent logiquement à la tête des politiques publiques et pour eux, la notation, ce n’est donc pas un problème.

Pas de «ne plus noter» mais «noter mieux»

Sous le quinquennat Hollande, la ministre de l’éducation nationale d’alors Najat Vallaud-Belkacem avait proposé une réforme en primaire masquant légèrement la notation brute et numéraire, la remplaçant par une «échelle de progrès». A l’époque, Nathalie Bulle, directrice de recherche au CNRS, parlait de la réforme en déclarant «la suppression des notes opacifie les normes de la réussite». Selon elle, une suppression des notes viendrait enrayer la machine institutionnelle de l’école. Cette fameuse stimulation qui donne à l’élève la volonté de réussir et au parents la volonté de s’impliquer dans le cursus scolaire. Il n’y aurait plus d’attente, plus de repère et plus de bilan possible surtout que selon elle, l’alternative à la notation, c’est-à-dire l’évaluation des compétences, donnerait une interprétation beaucoup trop approximative sur le réel niveau de l’élève.

Ainsi donc, ce qu’il faudrait changer c’est la notation elle-même et comme le dit Etiennette Vellas, chargée d’un rapport sur la question auprès de l’université de Genève il faut «désintoxiquer la notation». Elle insiste sur le fait que l’école dispose d’une double mission à l’origine  : «former la jeunesse et la trier», ce qui est paradoxal. Ce système briserait la volonté sincère d’un élève qui veut réussir et selon elle il faut former au mieux tous les élèves, indépendamment du fait qu’il faut les sélectionner, parce que cela ne ferait que poser une réflexion évidente de notre société basée sur la notation de tous. Ce qui est le plus important, c’est de noter la progression de l’apprentissage d’un élève. Pour elle, comme pour Pierre Merle, il faudrait passer par une refonte du système de notation (Pierre Merle propose l’exemple finlandais de réduction des notes numéraires remplacées par des annotations). D’autres comme Nathalie Bulle ou encore Jean-Paul Briguelli, professeur de lettres modernes au lycée Thiers de Marseille militent pour un maintien de ces notes au motif que «cesser de noter les élèves en difficulté, c’est se moquer d’eux» et que les difficultés dans la notation résultent dans des problèmes plus intrinsèques et indépendants de la notation en elle-même comme l’absence de maîtrise de savoir de base.

Noter ou ne pas noter, telle est la question

L’école est le reflet de la société, il paraît donc très peu pertinent de comparer son fonctionnement avec un petit pays homogène comme la Finlande ou un pays ayant un système scolaire très difficile et ultra-sélectif comme la Corée du Sud. Un système scolaire est intrinsèquement lié au fonctionnement et à la culture de son pays, et c’est pour cela qu’à partir du moment où l’on essaye de s’inspirer d’un modèle étranger, comme l’éducation nationale en 1969 qui a adopté le système de notation américain A, B, C, D, E ; il s’est avéré très compliqué pour les professeurs de les mettre en place et ils sont très vite revenu à la situation initiale.

Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il n’y aucun problème de notation en France. La solution qui semble la plus pertinente ici serait de renforcer la base de l’acquisition des compétences en français et en mathématiques à l’école primaire et au collège (ce que s’est employé à faire le quinquennat Macron) et donner les moyens aux professeurs de suivre personnellement chaque élève. Mais, comment un professeur ayant à sa charge une classe de trente-cinq élèves pourrait s’y prendre, c’est une autre paire de manche. Enfin, il y a un réel problème comportemental à changer que ce soit vis-à-vis des élèves entre-eux dont un tel système incite très peu à la coopération, ou vis-à-vis de la relation élèves/ professeurs qui peut s’avérer très toxique si ce dernier n’a pas le comportement adéquat pour un exercice aussi délicat qu’est la notation d’un élève.

En soi, pas de solution miracle, mais une véritable réflexion à entreprendre.