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«Monsieur le président, l’Arménie est en passe de disparaître»

À deux mille kilomètres de Kiev, une autre agression militaire menace encore une fois la stabilité internationale.

C’est dans l’air du temps, un État voit des chars voisins avancer contre lui à sa frontière. Nous ne parlerons pas de l’Ukraine aujourd’hui mais de la situation préoccupante de l’Arménie dont les tensions militaires avec son voisin l’Azerbaïdjan semblent cocher toutes les cases de ce que nous avons déjà vécu en février dernier lorsque les chars russes passaient la frontière ukrainienne. Dès lors, cette déclaration de l’écrivain Sylvain Tesson dans sa lettre ouverte du 10 octobre dernier adressée au président de la République : « Monsieur le Président, l’Arménie est en passe disparaitre » n’est pas une hyperbole.

Un casus belli original : Un territoire convoité

Ainsi que les médias le mettent en évidence depuis qu’ils se sont emparés de l’agression azerbaïdjanaise, toute l’histoire réside dans ce territoire de 11500km² peuplé à majorité d’arméniens et enclavé au beau milieu de l’Azerbaïdjan dans le Caucase : le Haut-Karabagh. Lors de l’éclatement de l’URSS en 1991, les anciens États libérés du joug soviétique se sont vus contraints de se réorganiser politiquement et géographiquement sans respecter une véritable cohérence démographique. Cette méthode au doigt mouillé a été à l’origine de tensions (et pas uniquement d’ailleurs, dans cette région du monde).

En ce qui concerne plus particulièrement le Haut-Karabagh, ce petit territoire a affirmé son indépendance vis-à-vis de l’Azerbaïdjan après avoir constaté que Bakou ne cherchait pas à favoriser l’autonomie de l’enclave arménienne. Aussi l’Arménie voisine a-t-elle souhaité venir en aide aux arméniens de l’enclave, transformant ce conflit en un affrontement frontalier entre les deux pays.

L’histoire des deux pays était commune depuis l’Empire Russe. Avant de se faire englober dans la toute nouvelle URSS, arméniens et azéris ont tenté de créer un pays unique englobant Arménie, Azerbaïdjan et Haut-Karabagh. Par la suite, dans le sillage de la dislocation de l’URSS, des premiers affrontements ont lieu entre les deux pays dont les peuples n’ont jamais su s’apprécier depuis l’époque de l’Empire Russe. Entraînants de violentes migrations azéries d’un côté, arméniennes de l’autre, le conflit chavire idéologiquement, glissant d’un affrontement territorial à des accusations de nettoyage ethnique des deux côtés. Avec l’intervention de la nouvelle Fédération de Russie dans le camp de l’Arménie, un cessez-le-feu est signé en 1994 laissant cette dernière globalement maître de la zone. Notons néanmoins que les azéris ont gardé une certaine rancune, laquelle s’est trouvée accrue avec l’arrivée au pouvoir en 2003 de l’actuel président Ilham Aliev.

Cela nous mène aux affrontements qui ont eu lieu en 2020 durant un peu plus d’un mois. L’Azerbaïdjan a lancé une attaque fulgurante pour remilitariser le Haut-Karabagh, bénéficiant de l’aide d’un allié, et pas des moindres : la Turquie. L’Arménie, toujours aidée par la Russie, ne peut pas autant riposter que lors des années 90 tandis que son allié russe, ainsi qu’on le conçoit aisément, ne se trouve plus du tout dans le même contexte. Beaucoup trop concentré sur l’Ukraine, Vladimir Poutine préfère exhorter son allié arménien à faire profil bas. Il a fallu une intervention tardive des États-Unis pour qu’un cessez-le-feu soit une nouvelle fois signé. La perte d’influence de l’Arménie est totale dans la zone du Haut-Karabagh et l’on rappellera à cet égard les manifestations qui ont suivi dans la capitale arménienne Erevan réclamant le départ du pouvoir du Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Le bilan humain se portait alors à six mille cinq cents morts.

Les Azéris ont de l’énergie à revendre

Ainsi, il n’est pas exceptionnel en Europe orientale, l’Azerbaïdjan est accusée par l’Arménie de l’agresser chez elle au-delà de la frontière entre les deux pays. Le nombre de morts se porterait à un peu moins de trois cents depuis septembre et surtout, l’allié et médiateur habituel de l’Arménie, la Russie, est accusée par les occidentaux de jouer un double jeu entre les deux anciens pays socialistes. Cette situation est intimement liée à la guerre en Ukraine. D’un côté, la Russie est de plus en plus mise à contribution dans une conflit qui s’éternise et de l’autre il ne semble pas dans son intérêt de s’immiscer une nouvelle fois dans cette tension géopolitique.

Quoiqu’il en soit, cette situation constituerait pour l’Azerbaïdjan une violation de l’accord de cessez-le-feu signé en 2020. Le nœud du problème politique et diplomatique réside dans la confusion entre toutes ces agressions territoriales. Le problème opposant Azerbaïdjan et Arménie se confond avec le conflit syrien puisque le président Macron a accusé la Turquie, alliée des azéris, d’envoyer des djihadistes combattre sur ce front, mais aussi avec la guerre en Ukraine. Ce qui pourrait expliquer l’inaction relative des occidentaux et une nouvelle fois la question énergétique. L’Azerbaïdjan étant un grand producteur de gaz (lui aussi décidément), que deviendrait l’Union européenne si elle se fâchait avec une autre puissance énergétique ? De plus, depuis les tensions qui ont éclaté il y a trente ans dans le Haut-Karabagh, l’attention de la communauté internationale a souvent été moindre, notamment pour reconnaître la nouvelle république. Enfin et surtout, la relation trouble entre l’Arménie et la Russie pourrait amener les occidentaux à devoir faire un choix entre continuer la guerre en Ukraine ou soutenir l’Arménie et les arméniens.

Sources

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-lettre-de-sylvain-tesson-a-emmanuel-macron-monsieur-le-president-l-armenie-est-en-passe-de-disparaitre-20221013

https://www.nouvelobs.com/monde/20221014.OBS64630/pourquoi-la-tension-monte-entre-moscou-et-paris-autour-du-conflit-entre-l-armenie-et-l-azerbaidjan.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/15/armenie-l-indifference-de-la-communaute-internationale-a-encourage-la-haine-et-le-bellicisme-du-president-azerbaidjanais_6145963_3232.html