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Commémorations du 8 mai : Une Histoire qui se répète ?

Hier se sont tenues les commémorations du 8 mai 1945, date de la capitulation de l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale, et donc de la Victoire des Alliés. Rien qui ne sorte de ce à quoi on s’attendait de la part des politiques ; entre le retour de la droite nationaliste, un Président nouvellement réélu qui s’en tient à la tradition, et une journée sur laquelle le spectre de la guerre en Ukraine planait.

Le 8 mai, une journée à l’histoire instable qui reflète les préoccupations changeantes des politiques

Ce conflit au bilan humain dépassant les 60 millions de morts a de manière évidente trouvé sa place dans les commémorations nationales dès l’année qui a suivi sa résolution. Si en 1945, suite à l’annonce radiophonique du général de Gaulle faisant état de la fin de la guerre, les 8 et 9 mai sont déclarés exceptionnellement féries dans l’urgence du moment ; ce jour de commémoration trouve une traduction dans le corpus législatif français dès l’année suivante. La loi du 7 mai 1946 fixe la date de commémoration de la Victoire au 8 mai de chaque année si ce jour est un dimanche, ou le premier dimanche qui suit cette date dans le cas contraire. Ce jour devient férié en 1953, mais ce que l’histoire de cette journée a de plus intéressant est la façon dont elle reflète les préoccupations des gouvernements successifs. Dans la décennie qui a suivi la fin des combats, la priorité était de permettre au peuple français de rendre hommage à ses disparus et de saluer l’effort de guerre encore frais dans les esprits. Mais lorsqu’à la fin des années 50 la question de la réconciliation franco-allemande fut remise au cœur des débats, il fut décrété de supprimer ce jour férié (décision de 1959), sans toutefois porter atteinte à la dimension commémorative. Cette dernière se verra abandonnée en 1975 sous la décision de Valery Giscard d’Estaing, y préférant la célébration du 9 mai, souvenir du discours de 1950 de Robert Schumann sur la construction européenne. Enfin, à partir de 1981, François Mitterrand consacre à nouveau le 8 mai comme jour férié et jour de fête nationale. Ainsi, au gré des intérêts de la nation et de son peuple, ce jour s’est transformé pour se plier aux exigences de commémoration, réconciliation entre ex-puissances belligérantes, et s’adapter au contexte international ; ce qu’il n’a pas manqué de faire cette année.

Le retour de Marine Le Pen, sur fond de réaffirmation de sa vision de la France à l’international

La candidate du Rassemblement National aux présidentielles n’avait pas pris la parole publiquement depuis son discours à ses soutiens suivant immédiatement sa défaite d’il y a deux semaines. La voici de retour devant les caméras, dans la commune d’Hénin-Beaumont, dont la mairie est aux mains du RN depuis 2014 et pour laquelle elle est candidate aux législatives à venir. Elle s’est pliée à la cérémonie de dépôt de gerbe pour rendre hommage à tous ceux qui sont tombés au cours de ce conflit mondial, et a discouru un peu avant midi. La journée du 8 mai revêt une importance particulière pour la frange politique qu’elle représente : depuis le début du XXème siècle, l’Action française, organisation d’extrême droite, se rassemble à cette date devant la statue de Jeanne d’Arc à Paris. Ce regroupement a pour but la célébration de l’anniversaire d’un évènement bien moins connu que la Victoire de 1945 : la libération d’Orléans des mains des anglais en 1429. Si ce rassemblement a depuis été déplacé au 1er mai par Jean Marie Le Pen, le 8 reste une date clé pour la droite nationaliste française. Les propos de Marine Le Pen, modelés sans surprise par le contexte international, ne s’écartent pas de la ligne discursive qu’elle a tenue pendant toute la campagne. La députée RN multiplie les références à la souveraineté nécessaire à la France et au caractère fondamental des valeurs nationalistes et patriotiques : « L’agression dont a été victime l’Ukraine nous prouve s’il en était besoin la nécessité pour tous les pays de se garantir les moyens de leur propre défense nationale. Elle nous démontre combien la conscience nationale d’un peuple constitue l’arme morale sans laquelle il n’y a pas d’autre voie face à l’agression qu’une piteuse soumission ». Elle réaffirme sa vision de la position internationale de la France, alignée avec son projet de quitter le commandement intégré de l’OTAN : « l’histoire de l’Europe et notamment les deux conflagrations mondiales du siècle dernier nous enseignent aussi que nous devons nous préserver des logiques de blocs qui mécanisent les conflits ». Elle enchaine sur une critique préventive des potentielles sanctions renforcées que les pays du G7 risquent d’imposer à la Russie, vis-à-vis desquelles elle s’est montrée méfiante depuis le début du conflit : « Les sanctions certes médiatiques mais imprévoyantes n’auraient d’autre effet que d’entrainer notre pays déjà mis à mal vers une crise économique puis politique sans précèdent ».

Un Président préoccupé par la situation internationale qui s’en tient aux traditions

Son opposant au second tour, réinvesti le samedi 7, s’est adonné à ses missions de chef des armées sans dévier de la tradition. Emmanuel Macron n’a rien changé à son habitude de ne pas s’exprimer à cette occasion (à l’exception du discours du 8 mai 2020 à l’occasion du 75eme anniversaire de la Victoire de 1945 dans le contexte particulier du confinement), mais si, il y a deux ans, il remerciait les combattants et Résistants pour « La dignité maintenue, l’adversité surmontée, la liberté reconquise, le bonheur retrouvé », la cérémonie d’hier était marquée par l’amertume de la guerre qui fait à nouveau rage en Europe. Selon la coutume, il a déposé une gerbe au pied de la statue du général de Gaulle place Clémenceau à Paris, remonté les Champs-Elysées pour passer en revue les troupes militaires et saluer les vétérans de la Seconde Guerre mondiale place de l’Etoile. Pour finir, il a rendu hommage au soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe, sans plus de cérémonie puis s’en est retourné à ses devoirs de chef de l’Etat, puisqu’à 17 heures s’ouvrait une séquence internationale importante avec la réunion du G7 (avec Volodymyr Zelensky comme invité) pour décider de nouvelles sanctions contre la Russie. Si notre Président s’est gardé de prendre la parole, plusieurs de ses tweets mettent en avant le parallèle entre les commémorations de la Victoire de 1945 et la situation Ukrainienne.

Le risque d’un conflit mondial qui se répète : la probable démonstration de force de Poutine et le message de Zelensky

Dans les pays du front Est, incluant la Russie, le jour de la Victoire est célébré le 9 mai pour des raisons de décalage horaire (le second acte de capitulation fut signé à Berlin le 8 mai 1945 à 23h01, soit 1h01 à Moscou). Ainsi, aujourd’hui aura lieu le traditionnel défilé militaire russe à Moscou, qui inquiète la communauté internationale, du fait d’une forte instrumentalisation de cette date par le pouvoir russe. Vladimir Poutine pourrait en effet percevoir le 9 mai comme une date butoir, lors de laquelle le pouvoir se doit d’être porteur de bonnes nouvelles en termes d’avancées significatives sur le front ukrainien (beaucoup pensent que la chute de Marioupol pourrait être cette « bonne nouvelle » pour le pouvoir russe). En effet, depuis qu’il a lancé l’offensive le 24 février dernier, Vladimir Poutine multiplie les références à la Seconde Guerre mondiale afin d’obtenir l’approbation des russes, en justifiant notamment le conflit par une nécessaire « dénazification de l’Etat ukrainien ». Et quel meilleur moment, pour Poutine, que l’anniversaire de la Victoire des puissances alliées sur le nazisme pour faire cette démonstration de force et prouver à son peuple la justesse de sa cause ? Depuis son arrivée au pouvoir, le chef d’Etat russe a fait de la parade militaire du 9 mai un évènement central, pilier de la fibre patriotique des Russes. Véritable outil de propagande, le défilé, auquel cette année aucun dirigeant étranger n’a été convié, exhibe la puissance de son armée. De l’autre côté de la ligne de front, déjà remarqué pour son usage de clips vidéo choc pour faire réagir l’opinion publique et mobiliser autour du conflit russo-ukrainien, le Président Volodymyr Zelensky a diffusé ce 8 mai une courte allocution aux ukrainiens, mais également plus largement à l’ensemble des européens : « Cette année, nous entendons « plus jamais ça » différemment, […] avec un point d’interrogation. […] Le 24 février, le mot « jamais » a été effacé ». Si ses mots ont pour but de susciter l’émoi de la communauté internationale pour obtenir des soutiens supplémentaires, ils ont également pour effet de nous faire nous questionner sur la répétition de l’Histoire. Si « commémorer, c’est précisément tenir à distance, et en quelque sorte répéter sur le mode symbolique pour éviter la répétition tragique », dans le cas présent où un troisième conflit mondial n’est pas exclu, il se peut que la répétition ne soit, cette fois-ci, pas uniquement symbolique.