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Qu’en est-il des violences policières en France ?

On dit que la police nous protège, mais qui nous protège de la police ?

Chante le rappeur Youssoupha1 en 2009. Hautement polémique et éminemment politique, le sujet des violences policières est, selon le sociologue Fabien Jobard, « une spécificité de la France (qui) ne quitte jamais vraiment l’actualité »2. Aussi, l’usage illégitime de la force par la police française, loin d’être un phénomène nouveau, a toutefois pris une toute autre ampleur du fait d’une visibilisation accrue des violences policières d’une part, et d’un nouveau contexte politico-social d’autre part.

Les violences policières en France : une réalité davantage visibilisée.

Les violences policières sont indéniablement devenues un sujet d’actualité, eu égard aux divers incidents survenus encore très récemment. Qui ne se souvient pas des images de la manifestation étudiante près de la Sorbonne du mois d’avril contre le « faux » choix du second tour de l’élection présidentielle ? Des supporters anglais violemment repoussés des abords du stade de France peu avant la finale de la Ligue des champions opposant le club anglais de Liverpool au club madrilène du Réal Madrid le 28 mai dernier ? Ou plus récemment de la jeune Laura, lycéenne du Tarn qui a eu le droit à la visite des gendarmes dans son lycée pour avoir posé cette simple question au Président de la République « Vous mettez à la tête de l’Etat des hommes accusés de viols et de violences sur les femmes ? Pourquoi ? S’il vous plait répondez moi »3.

L’exemple de Laura est d’autant plus intéressant qu’il permet de s’interroger sur ce qu’est une violence policière. Or, il est très difficile de définir ce qui ressort d’une violence policière ou non, comme le souligne Marion Guémas, experte société civile et auteure d’un rapport sur le maintien de l’ordre et des violences policières, selon qui « il faudrait déjà s’entendre sur ce qu’on définit comme violences policières. Est-ce qu’on intègre les contrôles abusifs ? Les palpations parfois très intrusives ?« 4. On peut même se demander si la tentative d’intimidation subie par Laura n’est pas elle-même une violence policière “symbolique” et tout à la fois traumatique.

Si la notion reste quelque peu vague, il n’en demeure pas moins que les violences policières, quelles qu’elles soient, sont une réalité de plus en plus visibilisée du fait d’une abondance des images de ces violences diffusées entre autres sur les réseaux sociaux. Ainsi, l’invisibilisation laisse place à la médiatisation de la violence à laquelle la police recourt dans certaines situations. Pour autant, visibilisation ne veut pas dire que les violences policières sont devenues plus fréquentes, au contraire celles-ci ont toujours existé : on peut ainsi penser à la mort de Zyed et Bouna Traoré, décédés dans un transformateur électrique EDF alors que ceux-ci échappaient à un contrôle de police à Clichy sous Bois en 2005. L’événement tragique a été l’élément déclencheur des émeutes de 2005 dans les banlieues françaises. L’image est donc centrale pour comprendre en quoi les violences policières sont devenues un thème important du débat politique en France même si, comme l’indique Guillaume le Saulnier, chercheur à l’Institut français de presse et spécialiste de la médiatisation de la police, l’abondance des images de violences policières ne représente que « la partie émergée de l’iceberg »5. Mais, ces vidéos suffisent pourtant à inquiéter au point que l’ex article 24 (nouvel article 52, déclaré non conforme par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 mai 2021) très controversé de la loi Sécurité globale, promulguée le 25 mai 2021, prévoyait l’interdiction de filmer les dépositaires de la force publique en créant un « délit de diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre »6. Est-ce là l’expression d’un malaise ou d’une tentative de protection de la police ?

Des violences accrues en raison d’un nouveau contexte politique et social.

Le contexte politique et social de la France explique en partie la recrudescence des violences policières. En effet, la France a dû faire face à des événements qui ont justifié le renforcement des pouvoirs de police administrative que détiennent les autorités publiques de tout niveau (Premier ministre, maires, préfets etc…) pour poursuivre un objectif de protection et de maintien de l’ordre public. Aussi, contrairement à la police judiciaire dont l’intention réside dans la répression d’une infraction, la police administrative trouve son essence dans l’objectif de prévention des troubles à l’ordre public. De par leur caractère exceptionnel mettant en danger la vie de la Nation, les attentats terroristes du 13 novembre 2015, ainsi que la crise sanitaire liée au Covid19, ont conduit les représentants politiques à adopter des mesures d’urgence de restriction des libertés et des droits dans le cadre de l’état d’urgence7.

S’est mis alors en place un droit d’exception pour lutter contre le terrorisme d’une part et contre l’épidémie de coronavirus d’autre part8.
En ce qui concerne la lutte contre la Covid19, la loi du 23 mars 2020 a instauré l’état d’urgence sanitaire, et a servi de fondement juridique pour justifier les mesures restrictives prises par les autorités publiques, notamment à l’encontre de la liberté de circulation ou les mesures imposant le port du masque en extérieur. Quel en a été le résultat ? « La police administrative est donc sortie augmentée de la crise du coronavirus, mais au prix de multiples questions »9. L’état d’urgence sanitaire a renforcé les pouvoirs de la police, conduisant à certaines dérives.

L’application des mesures de confinement a rapidement servi de prétexte au recours illégal à la force

Dans son rapport « Police et pandémie »10 publié le 24 juin 2020, Amnesty international déplore « l’effet disproportionné » des mesures prises (entraînant entre autres des pratiques discriminatoires) et de leur application par la police. Or, « l’application des mesures de confinement a rapidement servi de prétexte au recours illégal à la force », ce qui a notamment valu condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme relatif à l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitement.11

Entre interrogation(s) et perspectives de réforme(s), comment lutter contre les violences policières ?

L’un des problèmes majeurs concernant les violences policières est relatif à la difficile prise en compte du phénomène, puisque les outils mis à disposition pour recenser les cas de violences ont été mis en place de manière tardive. Ainsi, la Défenseure des droits (Claire Hédon, Jacques Toubon auparavant) n’existe que depuis 2011. Même interrogation concernant la mise en place en 2018 du dispositif Allo Place Beauvau par le journaliste David Dufresne, qui consiste en un travail de recensement des violences policières notamment lors des gilets jaunes. De même, le manque de volonté du pouvoir politique conduit à ce qu’il n’existe « aucun outil pour documenter » ces violences12.

Autre sujet de critiques, l’IGPN (Inspection générale de la Police nationale) désignée comme la « police des polices » est décriée pour son manque d’impartialité et d’indépendance13 : composée pour majorité de policiers qui contrôlent le travail de leurs pairs, l’institution est également rattachée à la Direction générale de la Police nationale. Face à ces critiques, une piste de réforme, inspirée de l’étranger14, serait de mettre à la tête de l’IGPN des magistrats qui ne seraient plus de simples collaborateurs mais qui participeraient à la prise de décision. L’idée serait, pour reprendre les mots du Professeur Olivier Renaudie, de « restaurer la confiance de la population envers les forces de l’ordre »15. Ce lien se recrée d’abord au niveau local, comme le montre la création du Comité d’éthique de la toute nouvelle police municipale de Paris, chargé des questions de déontologie de la police municipale parisienne.16 Rien n’est moins sûr au niveau national, tant la résistance d’une partie de la classe politique et des policiers eux-mêmes est encore grande.

1 Youssoupha, La même adresse (2009)
2 France Info, 8 décembre 2020, Louis Boy, “ Les violences policières en France sont-elles plus fréquentes ou sont-elles devenues plus visibles? ”
3 S’en est suivie une vague d’indignation sur les réseaux sociaux et la reprise de la question de Laura dans de nombreux posts Twitter à l’attention d’Emmanuel Macron.
4 Article France Info susmentionné
5 Guillaume Le Saulnier pour France Info (article susmentionné)
6 https://www.vie-publique.fr/loi/277157-loi-pour-une-securite-globale-preservant-les-libertes
7 Un peu d’histoire … Le régime de l’état d’urgence est issu de la loi du 3 avril 1955 qui a été adoptée en réponse aux “évènements” d’Algérie. :
8 Les développements à venir reprennent les éléments de réflexion du cours sur les services publics du Professeur Olivier Renaudie, Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
9 Olivier Renaudie, Professeur de droit public
10 Voir la seconde partie du rapport “le recours illégal à la force et autres violations des droits humains de la part de la police”
11 Castellani c. France, Cour européenne des droits de l’homme, 30 avril 2020,
https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-202412%22]}
12 Marion Guémas citée dans l’article France Info.
13 https://www.huffingtonpost.fr/entry/igpn-independance-police-nationale_fr_5ef489bac5b66c312682b 2f4
14 On peut penser à l’Angleterre
15 https://www.letotebag.net/monde-contemporain/societe/olivier-renaudie-la-question-de-la-confiance-de-la-population-envers-les-forces-de-lordre-est-fondamentale/
16 Voir l’interview de Olivier Renaudie réalisée par Tom Fruchart, susmentionnée dans la note 15