Interview d’Heïdi Soupault : la détresse étudiante en temps de Covid
Si ces mots vous semblent familiers, c’est certainement car vous avez déjà lu la lettre ouverte d’Heïdi Soupault, étudiante en deuxième année à Science Po Strasbourg. Partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux, elle y exprimait la détresse à laquelle elle faisait face suite à la situation sanitaire. L’équipe du Tote Bag a eu l’occasion de s’entretenir avec elle mardi 19 janvier.
Est-ce possible de décrire en quelques mots ton quotidien d’étudiante depuis le début de l’année ?
Dans mon cas, la journée-type, c’est : les cours, les devoirs, manger et sortir une heure s’aérer. Mais depuis le couvre-feu à 18h, comme mes cours se terminent après, je ne peux plus sortir. Sinon, j’ai la chance d’être en colocation, mes relations sociales se réduisent à mes colocs. De temps en temps, j’ai des amis de Strasbourg qui passent, sinon je communique avec les autres par appels, messages.
Dans quel état d’esprit étais-tu lorsque tu as écrit cette lettre ? Pourquoi avoir voulu le faire, et qu’est-ce que tu en attendais ?
Au moment où je l’ai écrite, je me sentais très mal, je saturais émotionnellement. J’avais besoin d’écrire pour extérioriser, comme je fais souvent. Cette fois-ci, j’ai décidé de le faire sous forme de lettre ouverte et pas simplement sur mon ordinateur. Cela faisait plusieurs jours qu’avec mes amis, on discutait du fait qu’on en avait marre, que l’on voulait faire quelque chose pour notre situation, qu’on avait vraiment l’impression de ne pas exister pour les autres. C’est peut-être un terme un peu fort, mais, on avait en quelques sortes l’impression d’être les sacrifiés, parce qu’on ne nous considérait même pas. C’était vraiment sur un coup de tête, j’ai fait ça en 45 minutes; et après c’est parti en cacahuètes… (rires)
On avait en quelques sortes l’impression d’être les sacrifiés, parce qu’on ne nous considérait même pas
Tu ne t’attendais donc pas à toutes les répercussions, et à ce que ça prenne autant d’ampleur ?
Non, sinon j’aurais fait plus attention à ce que j’écrivais. Je ne m’y attendais pas du tout. A la rigueur à quelques likes, des “oui, moi aussi”, mais à ce point-là non, on ne peut pas imaginer je crois. Je me disais qu’au moins j’aurais fait quelque chose, je me serais exprimée. Il y avait une sorte d’impression de ne pas être comprise, de ne pas être légitime à pouvoir se plaindre. Du coup, j’avais besoin de le dire, de l’exprimer, et à l’écrit c’est plus simple.
Pourquoi un retour en présentiel est-il si important à tes yeux aujourd’hui ? Qu’est-ce que cela changerait concrètement pour les étudiants ?
A mon sens, ce serait génial, parce que ça permet de prévenir un décrochage total des étudiants, de les reconnecter avec la fac. Surtout, cela permet des interactions sociales : on est à une période de notre vie où elles sont vraiment au centre, vraiment intenses. Je pense que c’est vraiment ça qui manque aux jeunes aujourd’hui – et particulièrement à moi.
Un retour en cours est donc aussi important au niveau académique ?
Oui, tout à fait. Les cours magistraux, je m’en sors parce qu’on prend des notes automatiquement. Mais les travaux dirigés (TD), c’est très difficile de rester concentrés devant un écran : parfois pendant 4 heures d’affilée. Au début, on est motivés, mais à un moment on décroche. Il y a tellement de distractions autour lorsque l’on est chez nous. Avoir un but dans la journée, autre que simplement allumer son ordinateur, ce serait hyper bénéfique. Au-delà du niveau académique, voir d’autres personnes, qui ne sont pas forcément nos amis, juste un contact autre ferait vraiment du bien. Je connais beaucoup de gens qui ont eu leurs examens en présentiel, qui n’ont jamais été aussi heureux depuis deux mois qu’en retournant à la fac, pour faire les partiels, alors que normalement, c’est la pire semaine (rires).
Penses-tu que l’Etat a une part de responsabilité dans les suicides des étudiants, ou du moins aurait-il pu prendre des mesures pour les éviter ?
Je ne veux pas blâmer, car c’est une situation très difficile à gérer et les erreurs sont humaines. Cela dit, effectivement, il aurait pu y avoir plus de prévention et moins de stigmatisation vis-à-vis des étudiants. On les considérait comme s’ils étaient les seuls responsables. Le traitement à part des étudiants peut interpeller, en comparaison avec les autres établissements scolaires (collèges, lycées etc.) qui ouvrent et les entreprises qui sont libres et encadrées dans leur gestion du présentiel-distanciel. Beaucoup de salariés peuvent aller au moins un ou deux jours en présentiel, alors pourquoi pas nous ? Pourquoi sommes-nous les seuls qui sommes restés en distanciel pendant deux mois, voire plus pour certains ? On ne peut pas s’empêcher de se le demander, même si je ne veux pas dire “c’est la faute de l’Etat”. Je sais bien que c’est compliqué, mais la question qui se pose maintenant, c’est qu’est-ce que l’on peut faire ?
Je pense qu’il y a eu une incompréhension, parce que les étudiants n’ont pas pu s’exprimer. Personnellement, je me censurais, je me disais que ce n’était pas à moi de me plaindre, que je n’avais qu’à me secouer, que ce n’était qu’une période à passer. Mais par moment c’est dur, et on a le droit aussi de s’exprimer, même si certains souffrent certainement beaucoup plus que nous. On a aussi le droit de retourner en cours, on n’est pas juste des jeunes irresponsables.
Beaucoup de salariés peuvent aller au moins un ou deux jours en présentiel, alors pourquoi pas nous ?
Que penses-tu des gens qui disent que les jeunes ne devraient pas se plaindre, qu’ils devraient s’estimer heureux de ne pas être à la guerre par exemple ?
Au début, ça m’a fait sourire, parce que ce n’est pas vraiment le propos : nous n’étions pas là à dire que l’on souffrait le plus. Cela n’avance à rien de hiérarchiser les souffrances, si on se compare à ceux qui ont fait la guerre de 14-18, on ne se plaint jamais et on accepte absolument tout. Je sais très bien qu’il y a pire que nous, donc ces remarques m’ont globalement paru déplacées. Ce n’était pas l’objet.
Si tu devais changer une partie de ta lettre, laquelle serait-ce ? Ton message est-il vraiment de pousser les étudiants à “dire merde à la solidarité” ?
Voilà (rires). C’est ce que je retirerais. Ce que je voulais dire, ce n’est pas “merde à la solidarité”, mais qu’on a fait beaucoup d’efforts, qu’on existe, et qu’on a aussi le droit d’être considérés. C’était dire, en substance, que nous n’allions pas faire des efforts et nous taire, rester enfermés pour, entre énormes guillemets, “sauver les plus âgés”. Il faut préserver les plus âgés, mais ils ne sont pas les seuls qu’il faut protéger. C’était mal formulé, évidemment.. Je changerais ça, et sinon je pense que le reste, sans avoir tout en tête, était plutôt vrai.
Ce que je voulais dire, ce n’est pas “merde à la solidarité”, mais qu’on a fait beaucoup d’efforts, qu’on existe, et qu’on a aussi le droit d’être considérés.
“Si je comprends votre colère, chère Heïdi, ce ‘ras le bol’ qui vous pousse à dire stop à la solidarité, je vous demande encore un effort. Pour quelques semaines. Continuez à tenir, à faire preuve de ce courage qui anime votre génération depuis mars dernier et qui force notre respect; » Extrait de la réponse du Président Emmanuel Macron à la lettre ouverte d’Heïdi
Quel est ton sentiment général par rapport à la lettre de réponse de Macron et à l’allocution de jeudi ? As-tu l’impression d’avoir été entendue ? Les mesures prises depuis ta lettre te paraissent-elles suffisantes ?
Le fait d’avoir une réponse, en plus du retentissement médiatique, donne l’impression d’avoir été entendue, et par certains aspects, comprise. On sentait une énorme incompréhension de la part, pas que du gouvernement et du personnel politique, mais aussi des autres générations en général, et des étudiants qui vont bien.
Après, au niveau du contenu même de la lettre et de l’allocution, monsieur Macron utilise des mots forts mais cela ne change pas grand chose pour le moment. C’est une très bonne chose pour les premières années qui retournent en TD et j’en suis ravie. Mais il n’y a pas qu’eux qui souffrent et cela ne change pas le quotidien tous les autres. On pourrait aller plus loin. Encore une fois, il n’y a pas de raison qu’on soit les “seuls” à rester en distanciel. Donc globalement, il y a une part de déception et une part de joie.
Qu’as-tu pensé des mots de Macron ?
Je ne sais pas trop comment interpréter. Est-ce que c’est “on va vous accompagner, mais il va falloir tenir encore sur pas mal de trucs”, ou si c’est juste “ça va rester comme ça, donc tenez” ? J’espère en tout cas qu’ils vont aménager des choses et qu’ils réfléchissent maintenant à ce qu’ils peuvent faire pour nous, que l’on fasse partie des priorités s’il y a une accalmie. Je dois avouer que sur le coup, lorsque j’ai reçu la lettre, j’étais très déçue. Un deuxième semestre pareil que le premier, je ne pourrai pas. Puis j’ai relativisé et je me suis dit qu’au moins ils nous ont en tête.
Quel sentiment as-tu aujourd’hui, une semaine après la publication de ta lettre, avec le retentissement médiatique qu’elle a eu ?
Je me sens un peu mieux, j’ai eu la chance d’avoir été très stimulée depuis une semaine. D’un coup il s’est passé plein de choses dans ma vie, alors qu’il y a deux mois, c’était… “mon Dieu” (rires). En réalité, le problème reste même : dans une semaine, je vais reprendre ma vie – là je suis en vacances – et ça risque de redevenir la même chose. Du coup là, il y a vraiment de l’espoir, et c’est bête à dire, mais c’est ce qui fait tenir. Je n’ai pas encore suffisamment de recul pour savoir si cela a été vraiment bénéfique, si ça va porter ses fruits, ou si la seule conséquence aura été de me faire insulter sur Facebook.
Il y a eu beaucoup plus de bienveillance, mais on a malheureusement tendance à retenir plus les réactions négatives. J’ai eu peur aussi que certains étudiants ne soient vraiment pas du tout d’accord avec moi, qu’ils ne souhaitent absolument pas retourner en cours. Globalement, j’ai été rassurée d’avoir autant de réactions de personnes qui ressentaient la même chose, ou quasiment la même chose, ou de voir que cela leur avait fait du bien de ne pas se sentir seuls. Beaucoup d’étudiants attendaient vraiment un retour en présentiel au second semestre, et le fait que ce soit en distanciel a vraiment créé un craquage collectif.
Beaucoup d’étudiants attendaient vraiment un retour en présentiel au second semestre, et le fait que ce soit en distanciel a vraiment créé un craquage collectif.
Est-ce que la souffrance des étudiants est correctement appréhendée par les universités, les écoles et les professeurs ?
Je pense que cela dépend des administrations. Dans mon école, oui, l’administration fait des efforts, mais il y a un manque de moyens, une difficulté à s’adapter. En délivrant des cours en distanciel, cela est difficile de capter les étudiants, de les pousser à répondre, à se signaler s’ils ont besoin d’aide. Les administrations font ce qu’elles peuvent, mais à distance c’est très compliqué.
Pour toi, du coup, l’enjeu principal se joue au niveau de l’Etat, dans le retour en présentiel ?
Je n’ai pas tous les enjeux en tête, mais il me semble que l’on pourrait laisser les universités gérer le distanciel et le présentiel, selon leur capacité d’accueil, la situation épidémiologique, comme les entreprises. Dans certaines filières, ils sont dix et ils ne peuvent pas aller en cours. Cela semble dingue.
Conclusion de l’interview
Merci à Heïdi de nous avoir accordé de son temps pour cette interview. Il nous semblait important de relayer ce témoignage et de nous entretenir avec elle afin de confronter nos lecteurs à cette réalité trop peu prise au sérieux à la fois par le gouvernement mais également par les personnes ne se sentant pas nécessairement concernées. La jeunesse souffre de cette pandémie, et devenir adulte dans ces conditions n’est, aujourd’hui, pas si évident.
Nous vous remercions pour votre lecture. Si vous souhaitez témoigner de votre propre situation ou de celle d’un proche, n’hésitez pas à nous écrire à cette adresse mail : contact@letotebag.fr.
Si vous traversez actuellement une période difficile et que vous sentez avoir besoin d’aide, ce site internet répertorie des aides gratuites et dans toutes la France, en métropole et Outre-Mer : https://www.soutien-etudiant.info/services-soutien.