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Le superpouvoir des plantes qui dépolluent les sols

            Nous avons appris il y a quelques semaines dans un article publié dans la revue Environnmental Science & Technology que nous avions dépassé une nouvelle limite planétaire. Il s’agit cette fois-ci de la pollution chimique. Cela signifie donc que nos émissions de polluants chimiques dépassent désormais nos capacités d’évaluation et de gestion. Autrement dit le phénomène est désormais hors de contrôle. Mais, ne cédons pas au pessimisme, les solutions existent ! La plus évidente étant évidemment de réduire ces émissions à la source, en produisant moins et mieux. Malgré tout, il va bien falloir « gérer » les dommages causés par cette pollution sur l’environnement et en particulier dans les sols. Les sols sont en effet d’une importance capitale pour les hommes dans la mesure où ils nous permettent de nous nourrir, de purifier les eaux que nous consommons, de stocker du carbone, de découvrir de nouveaux médicaments…

Pour dépolluer les sols, nous avons des alliés de taille : les plantes. En effet, certaines d’entre elles sont capables de traiter efficacement certains types de polluants. La technique de décontamination des sols s’appuyant sur les plantes est appelée phytoremédiation. Ces dernières années, cette méthode, à la fois peu chère, facile à mettre en œuvre et esthétique, suscite l’intérêt d’un certain nombre d’acteurs de la gestion des sols pollués. En particulier, cette méthode fait l’objet de nombreux travaux scientifiques (Ali et al., 2013 ; Passatore et al., 2014 ; Collins, 2007) qui ont pour but de quantifier l’efficacité de ces pratiques et d’en améliorer l’efficacité. Dans cet article, nous allons essayer de comprendre les formidables mécanismes utilisés par les plantes pour décontaminer les sols !

La pollution des sols 

      Avant de parler de la décontamination des sols, il me parait important de revenir sur les concepts de sol et de pollution. On entend en effet souvent ces deux termes utilisés à tort et à travers sans jamais qu’il ne nous soit précisément expliqué de quoi il s’agit. Or, comme vous allez vous en rendre compte il est très important de savoir de quoi nous parlons pour gérer efficacement la pollution des sols.

            Les sols, sont des structures dynamiques à la surface de la terre issues de l’interaction entre les êtres vivants et les processus d’altération des roches. Il en résulte un matériau poreux, complexe, formé de matière minérale (provenant de la roche altérée), de matière organique (liée à l’activité des organismes vivants), d’eau et de gaz qui circulent dans la porosité du sol. Ce matériau sert de substrat aux végétaux qui s’y développent et abrite une faune extrêmement riche. La porosité du sol permet à l’eau et à l’air de circuler et ainsi de permettre à une vie très abondante de s’y développer. Cependant, il est important d’avoir à l’esprit qu’il n’y pas un sol mais des sols déterminés par le lieu, par le climat, la géologie, la topographie, les activités humaines…

La vie du sol, European SOil Data Center

Le sol est donc un système dynamique, vivant, aussi l’introduction de substances chimiques peut avoir une incidence sur cet écosystème. Dès lors que ces substances engendrent une dégradation du système en altérant ses fonctions, nous parlons de pollution. La nature des substances polluantes peut être très diverse. Il peut s’agir de métaux lourds ou de métaloïdes, d’hydrocarbures, de pesticides, de perturbateurs endocriniens… Chaque polluant présente des caractéristiques particulières. Ils peuvent être plus au moins toxiques, volatils, solubles dans l’eau, biodégradables… Aussi, il est nécessaire d’adapter le type de traitement à la nature du polluant. C’est notamment le rôle des gestionnaires des sites et sols pollués en France.

En quoi la phytoremédiation peut-elle permettre de décontaminer les sols ?   

Les plantes interagissent avec le sol notamment au travers de leur système racinaire. Les racines sont de véritables pompes à nutriments et sont spécialisées dans la fixation et l’absorption d’éléments nutritifs dans le sol. Certaines plantes fixent aussi des éléments polluants sans pour autant en être affectées. Il s’agit de plantes dites résistantes. Bien souvent les mécanismes de résistance ont été acquis à la suite d’une exposition sur le long terme à ces types de pollution, soit de manière naturelle ou artificielle. Ces mécanismes sont de plusieurs nature et vont caractériser le type de phytoremédiation qu’il est possible d’envisager :

  • La phytostablisation consiste en la fixation des polluants à la surface de leurs racine. Dans ce cas, la plante empêche ainsi la dispersion du polluant et évite qu’il n’intègre la chaine alimentaire ou les eaux des nappes phréatiques.
  • La phytoextraction correspond à la fixation, à l’absorption puis au transport et à l’accumulation dans les différents organes de la plante (tige et feuilles).Il est ensuite possible de collecter la plante qui a accumulé le polluant et de la traiter dans des unités spécialisées.
  • La phytodégradation assure la dégradation du polluant par la plante. Autrement dit, la plante est capable de produire une réaction chimique qui transforme le polluant en une molécule qui n’est plus toxique. Elle ne concerne que quelques composés chimiques spécifiques (hydrocarbures, pesticides…). Mais elle présente l’avantage d’assurer à la fois l’extraction et le traitement de la pollution.
  • La phytovolatilisation assure le traitement de la pollution en volatilisant le polluant dans l’atmosphère sous une forme non toxique. Pour cela, la plante fixe, absorbe puis transporte vers les feuilles le polluant où il va être vaporisé dans l’air par transpiration. Eh oui, comme nous, les plantes transpirent aussi !

            Finalement, selon le type de pollution et la configuration du sol qu’il est nécessaire de traiter, il est possible d’utiliser des plantes qui assurent l’une de ces quatre fonctions. Il est nécessaire néanmoins de garder à l’esprit que la plupart du temps, il n’y a pas vraiment le choix !

Description des différents mécanismes de phytoremédiation, extrait de http://www.intechopen.com/books/environmental-risk-assessment-of-soil-contamination.  

Les limites de la phytoremédiation

Bien que la phytoremédiation puisse paraitre une solution très alléchante, il serait erroné de dire qu’elle est parfaite. En effet, lorsque la pollution est trop importante, les plantes sont soit dans l’incapacité de survivre, soit elles n’absorbent pas suffisamment de polluant. Dans ce cas, d’autres méthodes, plus lourdes, sont souvent nécessaires. Ensuite, cette méthode est généralement longue, il est nécessaire de laisser la végétation évoluer pendant plusieurs années pour observer des résultats significatifs. Dans un monde qui accélère, avec des délais toujours plus serrés, c’est donc malheureusement régulièrement un critère de refus. Puis, l’action de la plante est relativement superficielle, il sera donc nécessaire d’utiliser d’autres méthodes si la pollution se trouve à plusieurs mètres sous la surface. Enfin, il s’agit d’une méthode qui s’appuie sur le vivant et non pas sur des machines. Aussi, il est très difficile d’anticiper l’efficacité de cette méthode dans chaque situation.

         Pour conclure, la phytoremédiation, comme toutes les autres techniques utilisées pour décontaminer les sols n’est pas parfaite. Malgré tout, elle offre des résultats satisfaisants dans le cadre de pollutions modérées, sur le long terme. Face aux dégâts immenses provoqués par les activités humaines, la phytoremédiation aura toute sa place. En effet, la situation est désormais plus ou moins hors de contrôle (Persson et al., 2022), nous n’avons donc plus les moyens de gérer l’ensemble des pollutions avec des moyens conventionnels. Il semble bien que le solutionnisme technologique ait atteint ses limites lui aussi. Le vivant est fort de plus de 3,8 milliards d’années d’évolution, ayons la décence de lui accorder un minimum de crédit. Il ne peut qu’être une grande partie de la solution.

Bibliographie

Super infographie du CEA : https://www.cea.fr/multimedia/Documents/infographies/posters/defis-du-CEA-infograhie-phytoremediation.pdf

Persson, L., Carney Almroth, B. M., Collins, C. D., Cornell, S., de Wit, C. A., Diamond, M. L., … & Hauschild, M. Z. (2022). Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities. Environmental science & technology.

Hazrat Ali, Ezzat Khan, Muhammad Anwar Sajad, Phytoremediation of heavy metals—Concepts and applications, Chemosphere, Volume 91, Issue 7, 2013, Pages 869-881, ISSN 0045-6535, https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2013.01.075.

Laura Passatore, Simona Rossetti, Asha A. Juwarkar, Angelo Massacci, Phytoremediation and bioremediation of polychlorinated biphenyls (PCBs): State of knowledge and research perspectives, Journal of Hazardous Materials, Volume 278, 2014, Pages 189-202, ISSN 0304-3894,

Collins, C. D. (2007). Implementing phytoremediation of petroleum hydrocarbons. In Phytoremediation (pp. 99-108). Humana Press.https://doi.org/10.1016/j.jhazmat.2014.05.051.

Geisen, S., Wall, D. H., & van der Putten, W. H. (2019). Challenges and opportunities for soil biodiversity in the anthropocene. Current Biology29(19), R1036-R1044.