Réensauvager le monde ?
Qu’est-ce que le concept de réensauvagement ?
La notion de réensauvagement (de l’anglais rewilding) qui provient de l’Outre-Atlantique, a récemment fait son chemin et émerge dorénavant dans le vocabulaire de la conservation de la faune et de la flore. Ce concept est assez simple puisqu’il s’agit tout bonnement de laisser faire la nature et l’équilibre des choses dans l’optique de réhabiliter un milieu, un écosystème…
Plutôt que de tenter sans cesse de tout contrôler, cette stratégie de préservation radicale cherche cette fois-ci à limiter le plus possible l’intervention de l’homme et à laisser l’écosystème retrouver de lui-même son équilibre ! Comment ? En se basant tout simplement sur la capacité de résilience des systèmes naturels et en laissant les grandes fonctions écologiques du milieu se rétablir telles qu’elles étaient avant que les activités anthropiques ne viennent les perturber.
Cette approche heurte encore beaucoup de sensibilités dans le milieu de la conservation, habitué à piloter, gérer, jardiner les espaces protégés
Thierry Lefebvre, membre l’Union Internationale pour la Conservation de la nature, citation tirée d’un article de Science & Vie
Ce type de démarche existe pourtant depuis longtemps en Amérique, et notamment dans le parc national de Yellowstone dont l’expérience de réintroduction de loups en 1995 est considérée comme un « cas d’école » du principe de réensauvagement. Après une absence de quasiment 70 ans, les impacts bénéfiques des loups réintroduits sont devenus presque immédiatement apparents, et continuent d’être vus jusqu’à ce jour.
Des expériences de réensauvagement en Europe
En Europe, la possibilité de trouver des milieux suffisamment vastes est plus mince et c’est pourquoi ce concept ne s’est pas encore beaucoup développé dans nos contrées.
A cette échelle, une organisation existe néanmoins, Rewilding Europe, qui a pour objectifs de coordonner différents projets de réensauvagement dans divers pays européens. A ce jour, cette organisation basée aux Pays-Bas est présente dans au moins 10 régions d’Europe différentes et met en place des actions variées de réensauvagement, comme par exemple :
- Des projets de restaurations faunistiques, des habitats naturels ou des chaines alimentaires ;
- La mise en place de « couloirs de coexistence », de corridors écologiques ;
- La suppression de barrages et d’obstacles artificiels dans les cours d’eau (Laponie) ;
- La création de réserves naturelles (Croatie et montagnes Velebit) ;
- La réintroduction d’espèces (Bison d’Europe en Roumanie mais aussi chevaux sauvages, taureaux, …) ;
- Etc.
Ainsi, ce ne sont pas moins de 2,3 millions d’hectares qui sont aujourd’hui dévolus entièrement à la vie sauvage en Europe.
Au Portugal, la réserve Faia Brava est considérée comme un laboratoire d’une des plus ambitieuses expériences de réensauvagement menées aujourd’hui en Europe (Usbek & Rica, 2020). Dans cette zone sanctuarisée de la Grande vallée de la Côa, la réintroduction de certaines espèces a d’abord été nécessaire avant de laisser ensuite la faune sauvage évoluer sans intervention humaine. Cette réserve qui s’étale sur plus de 1000 hectares est un véritable sanctuaire dans lequel la nature y est strictement préservée. L’ONG Rewilding Portugal s’est ainsi donnée pour mission d’augmenter le nombre d’animaux semi-sauvages comme les chevaux mais aussi le bétail et voudrait répliquer les expériences afin de créer un immense corridor écologique de vie sauvage le long du fleuve Côa.
L’origine de ce vaste projet ? L’achat en 2000 d’une petite vingtaine d’hectares par un groupe de biologistes, d’archéologues et de professeurs (membres de l’association Transumância e Natureza), dans l’optique initiale d’aménager des aires de migration et de faciliter l’escale de rapaces et vautours dans cette zone du Portugal. Depuis, la réserve s’est largement développée, suite notamment à l’introduction d’espèces comme des chevaux ou d’autres grands herbivores jouant un rôle-clé pour ces écosystèmes.
Ces réserves établissent un modèle économique et de gestion différent de celui des parcs naturels où la chasse et l’exploitation forestière sont bien souvent tolérés. Pour qu’elles subsistent, des activités de l’économie durable comme l’éco-tourisme (gîtes, sentiers de randonnées, activités de plein air…) ou le commerce local sont importants à mettre en place.
Le réensauvagement pour atténuer les changements climatiques ?
Depuis l’expérience réussie de la réintroduction du loup dans le parc de Yellowstone, les études et les exemples se sont succédés partout dans le monde pour plaider en faveur de l’impact positif du réensauvagement. Le vivant est d’une incroyable complexité et c’est cette dernière qui favorise l’équilibre des systèmes ! Plus un écosystème est diversifié, plus les interactions entre les êtres vivants sont multiples, et plus la nature prospère.
Une étude menée par des scientifiques de l’université d’Oxford (et ce n’est pas la seule) a ainsi montré que la réintroduction de grands herbivores en Arctique permettrait de restaurer des steppes du passé (toundra), de réduire le phénomène d’albédo [1] et d’éviter la fonte du permafrost (ces terres toujours gelées) (Macias-Fauria et al., 2020). Ce type d’initiative pourrait, à grande échelle, contribuer à limiter le réchauffement climatique.
Au-delà d’une stratégie de conservation, le concept de réensauvagement c’est aussi « vivre une vie plus en contact avec la nature, plus passionnée » comme l’évoque l’éditorialiste du Guardian et figure incontournable de cette cause, George Monbiot. A travers le réensauvagement, il voit une « opportunité pour inverser la destruction du monde naturel ». Et n’est-il pas grand temps d’aller efficacement dans ce sens ?
Natacha Racinais
Sources & Pour en savoir plus :
Rewilding Europe : https://rewildingeurope.com/
Julien Descalles (janvier 2020), «L’ambition est d’établir un véritable corridor de vie sauvage », Usbek & Rica. Disponible sur : https://usbeketrica.com/fr/article/ambition-etablir-veritable-corridor-de-vie-sauvage
Vincent Nouyrigat (avril 2014), « Réensauvager le monde, une nouvelle approche en écologie», Science & Vie. Disponible sur : https://www.science-et-vie.com/nature-et-enviro/un-mode-reensauvager-55508
Julien Hoffmann (février 2020), « Le réensauvagement ou comment donner à la Nature une chance de rétablir l’équilibre ». Disponible sur : https://www.consoglobe.com/reensauvagement-rewilding-cg
Marc Macias-Fauria, Paul Jepson, Nikita Zimov and Yadvinder Malhi (Janvier 2020), Pleistocene Arctic megafaunal ecological engineering as a natural climate solution? Disponible sur : https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rstb.2019.0122
Pour écouter George Monbiot parler du réensauvagement : https://youtu.be/8rZzHkpyPkc
[1] L’albédo correspond à la capacité d’une surface à réfléchir les rayonnement solaire vers l’espace.