Jiboiana : le serpent ancestral de l’Amazonie – Entretien avec Leo Landon
Entretien récueilli par Kelly Dochy, le 18/02/2021.
J’ai le grand plaisir et l’honneur de vous présenter un entretien avec Leo Landon. Il est directeur de l’association Jiboiana, qui œuvre en France pour soutenir la souveraineté alimentaire et le droit à l’eau potable de la tribu Huni Kuin, dans l’ouest de l’Amazonie Brésilienne. Il a répondu à plusieurs questions sur son parcours et les missions de l’association.
Kelly Dochy : Bonjour Leo ! Merci beaucoup pour ton temps avec nous aujourd’hui. Tu pourrais nous partager quelques mots d’introduction sur toi ?
Leo Landon : Bonjour à toutes et à tous ! Je m’appelle Léo Landon, 27 ans, encore toutes mes dents et j’habite à Paris.
Ayant été adopté par des parents français au Vietnam, quand j’étais encore bébé, j’ai compris après une adolescence tumultueuse rythmée par un profond questionnement sur mon identité que je n’avais pas à choisir entre ces deux pôles existentiels – mais que j’étais simplement les deux. J’ai ainsi pris conscience que l’amour que j’ai le privilège d’avoir reçu n’a pas de frontières, et qu’en tant que citoyen du monde, à travers mon histoire, je pouvais à mon échelle aider d’autres personnes à s’épanouir au-delà des séparations.
Après m’être engagé pendant plusieurs années auprès des sans-abri et des réfugiés, j’ai créé avec ma copine et des ami.e.s l’association Jiboiana, qui œuvre avec les peuples autochtones pour la préservation de l’Amazonie afin d’élargir le champ de la solidarité.
KD : Merci beaucoup pour ton partage touchant. Je comprends que ton parcours personnel t’a beaucoup sensibilisé à la condition humaine et au soulagement de la souffrance. Peux-tu nous présenter l’association Jiboiana et ses missions ?
LL : L’association Jiboiana a surgi d’une vérité méconnue : les territoires habités par les peuples autochtones sont les plus protégés des incendies meurtriers, de l’orpaillage (ndlr : recherche et exploitation d’or dans les rivières) illégal, des rejets polluants des mines, et de la déforestation. En travaillant avec eux pour protéger leurs terres sacrées et renforcer leur culture, nous participons à la préservation de l’Amazonie et à la lutte contre le réchauffement climatique. Mes deux voyages en Amazonie brésilienne, auprès du peuple Huni Kuin – chez lequel je suis resté environ deux mois et demi – m’ont convaincu de cette vérité, et donné l’impulsion pour m’engager concrètement.
Face à ces défis, notre société individualiste nous donne l’impression d’être impuissants, de n’avoir aucun impact ; mais c’est une illusion, nous pouvons changer les choses ! L’association Jiboiana se veut être, avec ses projets écologiques et solidaires, une structure bienveillante, un catalyseur qui permet à celles et ceux qui désirent un monde meilleur de s’engager : pour la planète, l’humanité, et tous les êtres vivants.
Le nom Jiboiana est significatif : la Jiboia, dans la cosmologie du peuple Huni Kuin, est le serpent ancestral, qui leur a apporté la connaissance des médecines de la forêt. La Jiboia a une forte valeur symbolique pour eux. Elle est à l’origine de nombreux chants traditionnels, et d’une « danse de la Jiboia » – ce que l’on appelle en Occident, dénué de sa dimension sacrée, la « file indienne » ; cette expression a une origine bien réelle.
Chaque mois, l’association Jiboiana propose des cercles de chants. Nous partageons ces chants dans des cercles dits « de médecine », car au-delà de leur beauté et de leur joie intrinsèques, ils ont, dans leur essence, une réelle intention thérapeutique – c’est pour accompagner les guérisons mentales ou physiques qu’ils ont été transmis. Nous proposons donc ces cercles (avant la crise nous les faisions en présentiel, désormais sur ZOOM) pour que les personnes puissent à la fois se faire du bien, mais également pour faire du bien à la planète. C’est un cercle vertueux !
KD : Magnifique ! Je suis témoin que ces cercles sont vraiment magiques. Pour élargir notre champ de réflexion et pour créer un lien avec les thématiques qui intéressent nos lecteurs et lectrices… En quoi cette association traite-t-elle d’écologie et de justice sociale: de la crise climatique, la sauvegarde de la biodiversité, les droits des autochtones ?
LL : Ce projet, je le trouve aussi vital que beau car il touche, de manière holistique, à trois sujets interconnectés : il est humanitaire (en travaillant avec le peuple Huni Kuin), il est écologique (en protégeant l’Amazonie), et par ce biais il aide à préserver les espèces animales innombrables qui peuplent la plus grande biosphère continentale du monde.
La première chose que nous avons posée comme primordiale en créant l’association, c’est que nous ne voulions pas être les Européens qui arrivent et imposent aux Huni Kuin ce qu’ils doivent faire. Il fallait avant tout leur demander ce dont ils avaient besoin – et les trois choses qui sont revenues sont celles-ci : l’eau, l’autonomie alimentaire et la reforestation.
Dans leur culture, l’eau est sacrée ; ils utilisent donc traditionnellement l’eau des rivières pour boire, cuisiner, se laver, laver leurs vêtements, cultiver des légumes, etc. Or, à cause de l’orpaillage – qui rejette du mercure extrêmement nocif -, les mines et la pollution industrielle, ces rivières sont devenues toxiques. Il y a de plus en plus de cas de maladies et de mortalité, par exemple infantile. C’est pourquoi, avec eux, nous allons construire 3 puits à panneaux solaires qui permettront à des centaines de Huni Kuin d’avoir accès à une eau potable et saine, pendant des années ! Des spécialistes viendront avec nous les former à l’entretien de ces puits, bien plus onéreux, mais plus écologiques que ceux marchant à l’essence.
Ensuite, nous avons voulu coupler l’autonomie alimentaire et la reforestation. C’est pourquoi nous allons planter avec eux des centaines d’arbres fruitiers, médicinaux et tropicaux ; il faut savoir que plusieurs villages Huni Kuin ont été touché par les incendies qui ont lieu chaque année en Amazonie. Il est important de participer à la régénération de ces sols et de la forêt.
KD : Quelle est l’importance de l’Amazonie au niveau mondial ? Et celle des droits des autochtones ? Comment cela impacte les Français et les Françaises, les Européens et Européennes ?
LL : De plus en plus de scientifiques, de journalistes, d’anthropologues et d’institutions le reconnaissent : le rôle des peuples autochtones dans la préservation des écosystèmes est majeur et un exemple pour nos sociétés détruisant la Nature. Ces peuples vivent depuis des milliers d’années en harmonie avec elle, et n’ont jamais perturbé à un tel point son équilibre. C’est pourquoi nous pouvons nous inspirer de leurs modes de vie et de leurs philosophies pour construire un monde plus respectueux de l’environnement.
Par exemple, dans notre société capitaliste et extractiviste lorsque nous prenons quelque chose cela n’est pas suffisant – nous avons envie de plus. Les élites économiques et politiques, qui pour leur grande majorité vivent plus pour se faire réélire que pour faire leur travail, en sont les parangons. En opposition, dans beaucoup de cultures autochtones, lors par exemples des chasses ou des cueillettes, il est d’usage de prendre seulement ce dont on a besoin, et de laisser la Nature se régénérer, et toujours en remerciant la Terre pour ces présents. Ainsi, leur façon de penser, diamétralement opposée à la nôtre, peut être un point de départ pour une transformation profonde de la société.
Des personnalités comme Pierre Rabhi, dont le concept de « sobriété heureuse » n’est en fait que la réactualisation de modes de vie très anciens, montrent l’exemple en insufflant de nouveaux courants chez le grand public.
KD : Que pourrions-nous faire pour vous soutenir ?
LL : Il y a plein de façons de nous soutenir, et c’est ça qui est génial ! Nous avons lancé une campagne de crowdfunding il y a quelques mois, pour réaliser le projet que j’ai détaillé plus haut. Malgré la crise, les gens ont répondu présent : 11 000 euros ont été récoltés sur les 20 000 nécessaires. C’est incroyable, et nous avons une gratitude infinie pour celles et ceux qui nous accompagnent ! Une première approche est donc bien évidemment les donations.
Mais les dons ne sont pas tout, et, finalement, ne représentent qu’une infime partie de ce que nous voulons impulser. Car, au-delà des projets, ce que nous désirons faire, c’est créer une vraie communauté, internationale, qui rassemblerait toutes les personnes touchées par le changement climatique, la préservation des écosystèmes, la reconnaissance des droits des peuples autochtones… il y en a tellement ! Et nous avons l’espérance que nous pourrons les rassembler dans un même élan.
C’est toute une ribambelle d’actions que nous pouvons faire tous ensemble pour aider nos sœurs et frères d’Amazonie : inviter ses ami.e.s à aimer les pages Facebook et Instagram de l’association, sur nos événements en ligne, partager nos publications ainsi que la campagne de crowdfunding, ou en parler aux ami.e.s lors de rencontres. Mais aussi, ce en quoi nous croyons, c’est que chacun peut faire sa part – comme les colibris de la légende – chaque personne a son univers, ses qualités, et peut apporter sa pierre à l’édifice. Ainsi, parmi nos bénévoles, nous avons des artistes, professeurs de yoga, thérapeutes, musiciens, communicants : ils créent des œuvres d’art, donnent des cours, des soins, des concerts, et ils reversent une partie des fonds récoltés à l’association. C’est vraiment magnifique car des vocations et des talents se sont révélés grâce à cette simple pensée : certains bénévoles se sont mis à l’art pour nous aider. Il y a quelque chose de mystérieux et de magnifique dans cette ébullition : c’est à la fois un travail collectif de guérison pour la planète – mais aussi une évolution individuelle qui aide chaque personne à se (re)découvrir.
Sachez que nous recherchons toujours de nouvelles personnes pour renforcer cette communauté ; soyez donc les bienvenu.e.s ! C’est un espace de respect et de bienveillance, et Dieu sait que nous en avons besoin en ce moment critique de l’histoire humaine.
LL : Merci pour votre écoute, et nous serons ravis de vous accueillir parmi nous ! Haux Haux !*
*Cette expression Huni Kuin, qui se prononce [Haoch Haoch] vient après les chants et les prières pour renforcer leur effet dans le matériel. Avec le temps elle en est également venue à exprimer la gratitude.
KD : Merci beaucoup à toi, Leo ! Bon courage pour la suite !
Quelques liens :
Crowdfunding : https://www.helloasso.com/associations/jiboiana/collectes/pour-la-tribu-huni-kuin-et-la-preservation-de-l-amazonie
Facebook : https://www.facebook.com/Association-Jiboiana-111682016971215
Instagram : https://www.instagram.com/association_jiboiana/
Les questions et les réponses ont été recueillies par Kelly Dochy. D’origine Franco-Mexicaine-Américaine, elle est participante dans le Youth delegate program de UNITE 2030, une organisation à l’échelle mondiale qui soutien et catalyse l’action en faveur des Objectifs de Dévelopment Durable des Nations Unies. Elle est couramment enseignante d’Anglais, et graphiste-vidéaste de formation. Elle espère se reconvertir dans la communication afin de travailler dans le milieu des ONG, pour la justice sociale et climatique . Cette entretien est sa première contribution au Tote-bag.