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Les pièces du mois : théâtre et générations

Dans la poétique d’Aristote, le théâtre est défini comme une « imitation des hommes en action ». Cette « imitation » ou mimétisme pourrait être appliquée de nos jours aux rapports humains de façon plus générale. C’est un échange entre les comédiens, mais également entre ces derniers et les spectateurs. Aujourd’hui, le théâtre est souvent épique, les spectateurs sont questionnés sur la nature immuable de l’homme. Les pièces sont faites pour les amener à réfléchir sur le plan politique, philosophique ou tout simplement sur les relations humaines.

Dans ce questionnement du rapport aux autres, nous allons nous attarder sur un thème récurrent : le rapport entre générations. La différence d’âge entraîne souvent une différence de pensée qui peut être politique. Dans de nombreuses pièces, la jeunesse reproche les décisions de leurs aînés. C’est le cas dans Antigone de Sophocle ou cette dernière ne comprend pas pourquoi son oncle Créon refuse une sépulture à son frère Polynice. Dans Roméo et Juliette de Shakespeare, les familles Montaigu et Capulet s’opposent à la liaison qu’entretiennent leur fils et fille respectifs. Les nouvelles générations incarnent une liberté qui repousse les cloisons créées par les précédentes. Dans cette perspective, chaque génération porte un poids différent que révèle leur message. Les personnes âgées représentant généralement la sagesse, les jeunes adultes et adolescents la fougue et la rébellion et les enfants l’innocence et la liberté…

Changer la représentativité du rapport intergénérationnel du spectateur peut se faire en lui permettant d’expérimenter une autre facette de l’enfance ou de la vieillesse. Il s’agit alors de faire réfléchir le public sur ce qu’il pense connaître.

Trois pièces, qui tournent actuellement sur les scènes parisiennes, abordent cette thématique dans une perspective complémentaire.

Et d’autres que moi continueront peut être mes songes, une pièce mise en scène par Jean Bellorini

Capture d’écran issue de la video youtube du Théâtre National Populaire – TNP : Teaser « Et d’autres que moi continueront peut-être mes songes – La Troupe Ephémère 2021 »

Ici, Jean Bellorini le directeur du théâtre National Populaire (TNP), fête les 100 ans de ce lieu culturel emblématique créé par Firmin Gémier (1869-1933), en racontant, au travers de lettres et de discours d’époque, son impact sur la politique culturelle française. Toute sa vie, Firmin Gémier s’est battu contre le côté élitiste du théâtre. Il créa notamment un « théâtre national ambulant » pour décentraliser l’accès à l’art. Ce projet fut un échec mais montre sa volonté de partager avec tous des pièces qui étaient presque exclusivement montées et jouées à Paris. Au Théâtre National Populaire, il monte des spectacles et des opéras hauts en couleurs et ouverts à tous. Jean Bellorini nous transporte dans cet univers à travers les écrits de Firmin Gemier et les lettres d’autres grandes figures du TNP tels que Jean Villar, Maria Casarès ou encore Gérard Philippe.

Dans une salle sans décor remplie des costumes emblématiques du TNP, 22 jeunes de 12 à 20 ans partagent ces textes avec nous. On ressent le doute des comédiens de jean Villar, les ambitions de Firmin Gémier et un tas d’autres émotions retraçant l’histoire du théâtre français du 20eme siècle. Ces jeunes ont été choisis pour leur motivation et viennent du territoire du TNP. Ce choix de casting nous ramène à la volonté de Firmin Gemier de créer un théatre accessible à tous. La jeunesse donne un second souffle à un discours et des idées datant d’un siècle et pourtant toujours d’actualité. On peut tout de même constater une redondance due au style épistolaire.

Tous Des Oiseaux, une pièce écrite et mise en scène par Wajdi Mouawad

Capture d’écran issue de la vidéo youtube d’ Entrée libre : Wajdi Mouawad enflamme le théâtre

Tous des Oiseaux, montée en 2017 au théâtre de la colline, est l’une des pièces les plus célèbres de l’auteur Libano-canadien Mouawad, après Incendie adaptée au cinéma. Mouawad est connu pour ses histoires interrogeant la notion d’amour, de haine, de quête d’origine. C’est le cas dans Tous les oiseaux, une histoire d’amour poétique et émouvante servant de trame pour les articuler : lui est juif, elle d’origine palestinienne. La certitude de l’identité d’un père se brise par la révélation brutale de lourds secrets familiaux que les deux jeunes découvrent par leur volonté de s’émanciper des schémas de pensées stéréotypés de leurs parents. Cette pièce à rebondissements, où les personnages les plus antipathiques se révèlent dans toute leur complexité et la douleur de leurs expériences, dévoile une réalité historique dramatique. Les jeunes la font éclater et le prix à payer n’en sera que plus grand pour les générations précédentes.
Les effets de lumières et les décors mouvants pris en charge par les comédiens expriment le rapport au temps et accentuent la dramaturgie. La pièce mêle quatre langues (anglais, allemand, Hébreux et arabe) ce qui intensifie encore l’expérience extrêmement immersive que font les spectateurs même si 4 heures avec entracte peuvent en rebuter plus d’un.

Les Hortensias, une pièce écrite par Mohamed Rouabhi et mise en scène par Patrick Pineau

Capture d’écran issue de la vidéo youtube de MC93-Maison de la culture de Seine-Saint-Denis : 2015/16 Lumières de Pointe-Noire – Alain Mabanckou – Patrick Pineau

Nous évoquions en introduction Aristote qui représentait le théâtre comme « une imitation des hommes en actions ». Nous en avons ici un exemple. Dans cette pièce, Patrick Pineau et Mohamed Rouabhi font vivre la maison de retraite des Hortensias et surtout ses habitants. On observe dans un décor représentant l’ancienne abbaye des Hortensias leur quotidien, leurs jeux, leurs mensonges, leurs histoires de cœur, la nostalgie, les histoires de famille. On découvre le quotidien des soignants. Cette pièce nous parle d’un temps, pour reprendre Aznavour, « que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître ». Il est plaisant d’entendre les récits de ces personnes âgées que l’on entend trop peu, avec des voix et des façons de parler qui nous replongent dans l’univers des films de Renoir. Entre la tristesse, la joie et l’humour, le texte de Mohamed Rouabhi nous convie dans un lieu dont on sort libéré de ses idées reçues.

Les hortensias est en tournée dans toute la France jusqu’en juin 2022 et se joue du 22 au 28 novembre à la MC93 à Bobigny. Pour en savoir plus et réserver vos places cliquez ici.

Passant de la voix d’un enfant à celle d’un résident d’une maison de retraite, ces pièces sont là pour nous faire réfléchir sur les préjugés. On y voyage dans le temps aussi bien que dans l’espace.