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Julie (en douze chapitres): douter est un droit

Avec Julie (en douze chapitres) dernier film de sa trilogie sur Oslo, Joachim Trier nous rassemblait en 2021 autour d’une figure universelle au plus proche de nos vies : celle de Julie.

Douze chapitres, mille nuances d’humanité

Durant les deux heures et sept minutes de film, Julie nous dicte le rythme. Elle court : derrière le temps, ses rêves, ses relations… Julie se cherche, tente constamment de se réinventer. Études de médecine, de littérature, de psychologie ou de photographie, elle doute, se questionne sur l’incidence de ses décisions sur sa vie présente et future. Surtout, elle cherche sa place dans une société qui une fois la vingtaine passée réclame que l’on fasse des choix. 

Ainsi, comme dans Oslo 31st August, Trier nous plonge avec lui dans une mélancolie aussi douce que douloureuse, un spleen profondément humain. Le film part de questions très pratiques avant de peu à peu dériver vers des questions éminemment plus existentielles : Qui souhaite-t-on devenir ? Comment y parvenir sans rien regretter ? À quoi aspire-t-on, réellement, dans la vie ? Comment accepter la banalité ? Peut-on s’épanouir sans fonder une famille ? Comment accepter la disparition de nos proches et des souvenirs qui nous rattachent à eux ? Les interrogations pleuvent dans notre esprit pendant tout le long métrage, et Trier au lieu d’y répondre décide de les laisser en suspens. C’est en grande partie pour cela que le film résonne et détonne autant : il nous rappelle à travers le personnage de Julie et de ses errances que nous avons le droit de douter.

Ce film apaise, rassure, bouscule, mais surtout grandit en nous. Chacun des battements de cœur de Julie fait peu à peu écho à nos propres sentiments, chaque chapitre de sa vie nous permet de toucher du doigt une émotion enfouie, contenue, parfois inexplicable. Trier parvient à l’aide de sa caméra et de la brillante interprétation de Renate Reinsve à révéler ce qui est contenu dans les mots, les non-dits, les expressions du visage. À l’arrivée, ce qui rend le film extraordinaire c’est justement sa capacité à rendre compte avec justesse de l’ordinaire. Le film s’immisce dans le banal sans tenter d’en faire quelque chose de grandiloquent. Il se contente de rendre compte du malaise d’une génération où le mythe de l’accomplissement placé comme valeur fondamentale de nos sociétés nous paralyse parfois.

Vivre n’attend pas

La caméra de Trier est précise, la photographie particulièrement bien rodée et les artifices de montage viennent nourrir le récit. Le découpage du film en douze chapitres, mosaïque de la vie de Julie permet de complètement sortir des sentiers battus : à la fois comédie romantique, drame, film existentialiste et simple comédie, le film offre une palette scénaristique et cinématographique riche. C’est aussi cette diversité dans les thèmes et les genres qui permet aux personnages de gagner en complexité. En effet, cela permet de rendre compte des contradictions internes, des qualités, des aspirations et de l’infinité de possibilités et de nuances qui existent chez chacun d’entre nous.

Parce que Julie (en douze chapitres) c’est un film sur la nuance, c’est le cinéma de l’incertitude : son titre anglais le rappelle d’ailleurs parfaitement. The worst person in the world, c’est ce que nous avons tous l’impression d’être parfois : lorsque l’on échoue, lorsque l’on commet des erreurs, où que l’on ne s’estime pas à la hauteur. C’est aussi postuler que nous sommes tous la pire personne du monde de quelqu’un d’autre et qu’en fin de compte ce n’est pas (si) grave. 

Le film est donc un élan constant, et si la première partie nous plongeait dans la nostalgie et la crise existentielle de Julie, la seconde nous prend par la main, nous invite à aller de l’avant. Avec la scène de la pause le ton change, c’est le moment de l’acceptation : celle de nos échecs, de nos potentiels actes manqués et de nos regrets. Surtout c’est un moment d’une poésie rare et touchante, où le champ des rêves et des possibles semble illimité.

Jade Serieys