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Alessandro Castellani, figure emblématique et multiple de l’Italie du XIXe siècle

Le nom Castellani vous est peut-être familier pour différentes raisons, en fonction de vos centres d’intérêt. En effet, les Castellani sont une grande famille d’orfèvres italiens fondée par Fortunato Pio Castellani, né en 1794 et d’origine romaine. En plus de leur activité de production artistique, les Castellani – représentés également par Augusto et Alessandro au cours du XIXe siècle – étaient très actifs sur le marché de l’art européen et dans les campagnes de fouilles qui avaient lieu en Italie.

A première vue ces différentes activités ne paraissent pas avoir de lien direct, et pourtant elles se retrouvent sur plusieurs points : les bijoux produits par les orfèvres Castellani étaient pour la plupart inspirés des bijoux antiques trouvés dans les fouilles réalisées en Italie (essentiellement en ancienne Etrurie et en Campanie, autour de Naples) avec en 1836 la mise au jour marquante de la tombe Regolini-Galassi à Caere, ou la tombe dite « Castellani » située à Preneste, sur laquelle nous reviendrons. Les Castellani financent grâce à leur commerce des campagnes de fouilles et collectionnent des objets antiques qu’ils exposent aux côtés de leurs créations ou qu’ils revendent ensuite à des particuliers ou des musées. Ces dynamiques de création et de collection sont faites par Fortunato Pio, Augusto et Alessandro dans un esprit nationaliste italien : en effet, les trois orfèvres étaient engagés politiquement dans le mouvement d’unification italienne et voulaient par leurs actions manifester une nation, en opposition aux puissances étrangères comme la France ou l’Angleterre qui occupaient le territoire italien.

Le plus virulent des trois Castellani était Alessandro, né en 1824 : il a été emprisonné à plusieurs reprises à Rome pour ses actions républicaines et a été contraint de s’exiler. Ce départ lui a permis de créer une boutique-atelier à Naples et d’autres boutiques à Paris et Londres. Bien que pour des raisons politiques, cet exil a permis le développement du commerce d’art antique et d’orfèvrerie des Castellani à l’international. Alessandro était également celui qui a le plus œuvré sur le marché de l’art pour la vente d’objets trouvés dans des tombes étrusques notamment, mais il est aussi connu pour avoir versé dans des affaires de faux.

Il convient de s’intéresser au contexte plus général du marché de l’art au XIXe siècle pour comprendre la figure parfois controversée d’Alessandro Castellani : il existait plusieurs problèmes majeurs qui sont aujourd’hui des freins dans la recherche. Le premier était la décontextualisation des objets puisque, même dans le cas des fouilles autorisées et encadrées, le matériel archéologique était retiré directement de son contexte de découverte pour être « réparé » et vendu sur le marché de l’art ou être intégré dans la collection du mécène des fouilles. Parfois les fouilles étaient tout simplement illégales et donc techniquement des pillages, dont les objets encore une fois étaient collectionnés ou vendus, avec une provenance inventée ou très floue. Pour attirer la clientèle et faire monter le prix des objets, ceux-ci étaient restaurés ou « réparés », sans volonté archéologique comme on peut le voir aujourd’hui : les ajouts modernes tentaient d’imiter l’antique et on assemblait des éléments de différentes époques et provenances géographiques pour obtenir un objet complet. Ce cas se retrouve par exemple pour différents colliers de scarabées étrusques conservés au Louvre, à Berlin et au British Museum.

Dans ce contexte, Alessandro Castellani se lie particulièrement au marquis de Campana, Giovanni Pietro, avec lequel il est impliqué dans des affaires véreuses sur le marché de l’art. Une des plus connues est celle du Sarcophage Penelli, vendu au British Museum par Castellani et issu de la collection Campana. Ce sarcophage est en fait un faux copié d’après le Sarcophage des époux conservé au Musée du Louvre, qui était passé pour un original étrusque de la fin du VIe siècle avant J.-C. Ce sarcophage en terre cuite a en fait été créé par les frères Penelli, qui avaient travaillé au service du marquis de Campana auparavant, puis brisé et vendu au British Museum. Alessandro Castellani était impliqué dans la transaction, mais on ne sait pas aujourd’hui s’il était au courant de toute l’affaire. Au-delà de ce scandale, Alessandro Castellani a pu mouler et faire les « réparations » nécessaires sur les pièces d’orfèvrerie de la collection Campana avant leur dispersion.

Cependant Alessandro Castellani a beaucoup œuvré dans pour l’orfèvrerie en participant avec son père et son frère à l’étude poussée de l’orfèvrerie antique pour faire revivre des techniques anciennes telles que la granulation, manipulée avec brio par les Etrusques. Les artisans et artistes d’origine romaine considéraient l’orfèvrerie antique comme supérieure par son caractère unique et ses imperfections qui la rendaient plus belle à leurs yeux, puisque la création était entièrement liée à l’homme et ses outils et non pas à une machine. Alessandro a également beaucoup fait pour l’archéologie de son temps puisque certaines des fouilles financées par ses soins ont permis la préservation d’œuvres importantes (bien qu’elles soient dispersées, comme les céramiques de la tombe dite « de Brygos »). D’autres campagnes, comme celle menée dans le lit du Tibre, montrent un intérêt pionnier pour la stratigraphie de la part de l’orfèvre établi à Naples, partagé par encore peu d’archéologues à l’époque où les fouilles conduites à Pompéi, par exemple, peinaient à catégoriser le matériel par édifice.

La famille Castellani, et plus particulièrement la figure d’Alessandro, contribue donc au XIXe siècle à un renouveau dans la discipline de l’orfèvrerie avec la redécouverte de techniques antiques et la création de bijoux fortement inspirés voire copiés d’œuvres antiques qui séduisent largement un public à l’international. Cette dynamique est d’autant plus intéressante qu’elle naît d’une démarche archéologique avec le financement de campagnes de fouilles, mais aussi et surtout puisqu’elle prend racine dans un esprit nationaliste fort à l’époque où l’Italie est partagée entre les grandes puissances européennes, en plein Risorgimento. Bien qu’il s’agisse d’un groupuscule familial très restreint qui n’aura un impact fort que sur trois générations, l’influence des Castellani sur leurs contemporains et les problèmes qu’ils rencontrent ou causent – sur le marché de l’art notamment – sont représentatifs d’une époque, le XIXe siècle. On voit un essor du collectionnisme et du marché de l’art avec une volonté plus scientifique que ce même essor au XVIIIe siècle, de manière certes imparfaite lorsqu’on le considère avec les yeux de la recherche aujourd’hui mais ces figures polyvalentes et pionnières du XIXe siècle sont nombreuses et ont permis des avancées non négligeables.