Yonebayashi Hiromasa : Éloge tendre et lyrique des inadaptées
Une blonde mystérieuse, une fleur bleue étincelante, ou un petit personnage sous une feuille apparaissent sur une plage, dans une forêt ou dans un jardin : soudain, la magie s’éveille. Les trois films de Yonebayashi Hiromasa, Arrietty le petit monde des chapardeurs, Souvenirs de Marnie et Mary et la fleur de la sorcière se construisent autour de ces apparitions fascinantes. Son cinéma place de jeunes personnages féminins au cœur de son œuvre. Encore méconnu, il prouve pourtant que Miyazaki n’a pas le monopole ni du merveilleux ni des aventurières au sein de l’animation japonaise.
Pas plus haute qu’une fleur, Arrietty est une jeune chapardeuse téméraire qui a soif de découvrir le monde et qui fait la rencontre du garçon humain Sho. Dans Souvenirs de Marnie, la mère adoptive d’Anna s’inquiète pour cette dernière qui commence de plus en plus à se replier sur elle-même. Elle l’envoie donc dans un village où se dresse au bord de la mer une vieille demeure inhabitée d’où surgit la fascinante Marnie. Enfin, Mary se retrouve propulsée dans le monde de la magie après avoir cueilli une fleur très rare dans Mary et la fleur de la sorcière.
Souvent rebelles, ces héroïnes sont marquées par leur différence qui se ressent aussi visuellement : Mary et Arrietty sont les seuls personnages roux de leur film et Anna la seule fille à avoir les cheveux courts. Ces enfants et adolescentes sont toujours inadaptées au milieu dans lequel elles vivent, au monde prosaïque ; c’est sans doute pourquoi elles se retrouvent projetées vers l’imaginaire, vers la magie. Leur maladresse, leur marginalité, voire leur déviance, leur ouvre ainsi la porte vers une aventure extraordinaire, et deviennent leur force. Même lorsqu’elles agissent mal, Yonebayashi prend soin de les traiter avec tendresse, il ne les prend jamais de haut. Quand Anna insulte une autre fille, ses proches lui disent qu’elle a eu tort, mais inutile de la flageller à outrance ; elle se déteste déjà bien assez elle-même de l’avoir fait. Pour ces personnages isolés, la quête d’acceptation de soi se révèle donc indispensable au cours de leur périple, afin d’être enfin en paix avec leur environnement.
Émergeant de la solitude, de l’ennui, de l’adversité, le merveilleux se déploie de façon inespérée, ce qui le rend d’autant plus précieux. C’est pourquoi cette féérie est toujours source de poésie. Dans ces paradis enfantins, le mouvement des vagues, des marées, du brouillard, des nuages et du vent qui fait frémir les feuilles règnent. Baignée de couleurs éclatantes travaillées comme à l’aquarelle, l’animation adopte un style semblable à la plupart des films d’animation japonaise actuels. Cependant, la finesse et la générosité des nuances données à la nature et aux énergies surnaturelles ne manque pas de libérer un fantastique éblouissement qui demeure peu commun. Que ce soit à travers une amitié inattendue ou le basculement dans un univers magique, sa poésie se présente comme un refuge mystique au milieu d’un monde souvent perçu comme hostile. De ce point de vue, Souvenirs de Marnie offre sans doute la plus belle pente mélodramatique grâce à la beauté de la relation entre Anna et Marnie. Mary et la fleur de sorcière est peut-être moins émouvant, mais il émerveille notamment par son foisonnement malicieux de références à Harry Potter.
Yonebayashi a sûrement encore beaucoup à nous offrir, car bien que Souvenirs de Marnie soit son film le plus fort, il demeure probable qu’il n’ait pas atteint le sommet de son art. Néanmoins, on se souviendra des rencontres entre Anna et l’énigmatique Marnie à la chevelure aussi flamboyante que spectrale, mais aussi de celles entre le mélancolique Sho et la minuscule et intrépide Arrietty. L’air de rien, les éléments naturels jouent un rôle essentiel dans ce lyrisme, et même si beaucoup de choses sont éphémères, elles valent le coup d’être vues, senties, respirées, vécues.
Arrietty le petit monde des chapardeurs, Souvenirs de Marnie et Mary et la fleur de la sorcière sont disponibles sur Netflix