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Requiem for a dream ou la mort d’un rêve

 L’atmosphère est pesante, le soleil est lourd. Les visages commencent à être marqués par quelque chose. Tout est sous-jacent, sur le point d’être ; et c’est cette énergie, cette espèce de frémissement prophétique, qui annonce réellement l’ampleur du tragique. Tout ce qui est exposé va être détruit. Il ne restera rien des personnages du début. Il n’est jamais question d’espoir. Tout s’enfonce, le drame est poisseux et sale, les personnages s’embourbent dans leur plaisir factice et chacun sombre inévitablement dans son addiction. Que ce soit avec l’héroïne, la télévision ou les médicaments, chacun porte le poids de ses choix et se tue avec son propre poison. 

Deuxième long-métrage du réalisateur américain Darren Aronofsky (Black Swan, Mother!), Requiem For a Dream sort en l’an 2000 et marque au fer rouge la mémoire de ses spectateurs. Le film est critiqué dès sa sortie, comme Fight Club (D.Fincher) un an plus tôt, pour sa représentation très crue de l’addiction. 

Sara Goldfarb (Ellen Burstyn), mère du héros, Harry (Jared Leto), accro aux pilules amincissantes, qui sombre rapidement dans la folie © Requiem for a dream (2000), Darren Aronofsky

Tout comme le film de Fincher, Requiem for a dream est adapté d’un roman, Retour à Brooklyn, de  Hubert Selby Jr., qui coécrit d’ailleurs le scénario.

Dans ce film, Aronofsky traite ses images à la hauteur de son sujet. Le rythme impressionnant du film reflète bien l’état mental des personnages : la frénésie du commencement, puis le calme annonciateur de la chute, suivi de l’hystérie totale, pour enfin terminer par une angoisse sourde, témoin d’une existence vidée de son sens.

Dans Requiem For a Dream, Darren Aronofsky s’inspire du format clip et du hip hop pour montrer la frénésie de la rue. Ainsi, le split screen, les inserts très courts et les plans en fish-eyes sont très présents tout au long du film. En revanche, c’est surtout au début (et à la toute fin de manière plus grave) que l’on ressent réellement ce mouvement, cette vague d’existence qui va finir par s’écraser contre les parois de l’ennui et du doute pour au final se dresser contre tout ce qui est extérieur à leur monde artificiel. 

L’enchaînement répété des images drogue/visage/pupille est également un pattern essentiel qui cadre tout le film. Il annonce déjà la fin du libre arbitre et la manière dont la drogue va finir par posséder les personnages bien plus qu’eux ne croient contrôler quoique ce soit, d’eux même ou du reste.

C’est un film très sensoriel et synesthésique dans la puissance que les sons, les bruits et la musique apportent au film. La bande originale, composée par Clint Mansell donne une profondeur supplémentaire à l’œuvre et la force de répétition de « Lux Aeterna » rend les images hypnotisantes. Ce décalage sordide entre les repères visuels, de séquences montées toujours de la même façon, et la dureté du propos et de l’image, transforme le confort de cette habitude en un destin morbide et putride.

Les plans sont frénétiques, épileptiques. Les visages sont tordus, le temps accéléré ou ralenti. Tout est distordu et rien n’est agréable. La douleur est là, mais bien moins que l’inconfort, le malaise, le dérangeant. Ça ne fait pas encore mal mais ça démange et tous vont se gratter jusqu’au sang dans cette tentative désespérée de ressentir. Le prisme de l’existence est fêlé et seule la moisissure fait écho au luxe.

Ce sont les lumières qui traduisent le mieux cet aspect-là. L’ambiance lumineuse du film est très marquée : au début le soleil est haut, le ciel est bleu, les plans sont plus souvent épurés. Avec le temps, il fait de plus en plus nuit, de plus en plus sombre, il y a de plus en plus de crasse, de zones obscures, et c’est le déclin de cette lumière qui résonne aussi fort que la détresse des personnages.

Les décors et leur environnement reflètent l’état mental des protagonistes et l’ambiance devient rapidement malsaine. Tout finit par être désagréable et glauque. Tout s’embourbe dans un déni général et tous finissent par céder. Ils s’enfoncent dans ces chemins qui les mènent à des morts diverses, plus ou moins symboliques, si bien que tout ce qui a pu exister d’eux ne sera jamais plus.

L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes,
Allonge l’illimité,
Approfondit le temps, creuse la volupté,
Et de plaisirs noirs et mornes
Remplit l’âme au-delà de sa capacité.

Charles Baudelaire

Et c’est dans ce débordement que tous se sont perdus.