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Cinéma

Nos âmes d’enfants: Écouter le monde

« Je vais te poser une série de questions, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses »

Le film s’ouvre sur cette phrase, le générique n’est pas encore fini, et on entend déjà la voix du personnage principal, Johnny. Son métier consiste à interviewer des enfants et jeunes adolescents sur des questions très variées : comment sera le futur selon toi ? Si tu pouvais changer une chose en toi, que changerais-tu ? Ou encore : comment éduquerais-tu tes enfants ? Ces interviews, improvisées et réalisées avec des enfants qui ne sont pas des acteurs, parsèment le film.

L’élément “perturbateur” apparaît assez tôt ; après un an de silence, Johnny appelle sa sœur, Viv, pour prendre de ses nouvelles et parler de la mort de leur mère. Apprenant qu’elle va devoir rejoindre son conjoint, Paul, pour l’aider à s’installer dans une autre ville, Johnny propose de garder leur fils, Jesse, le temps de quelques jours. On suit alors l’évolution de leur relation étrange et touchante. Joaquin Phoenix joue à la perfection le rôle de Johnny, oncle bienveillant mais vite dépassé par l’éclectique et curieux Jesse, qui du même coup reprend contact avec sa sœur, brillamment interprétée par Gaby Hoffmann.

Alors de quoi traite vraiment ce film qui flirte avec le documentaire ? De parentalité, tout d’abord, c’est évident. Dans sa difficulté : tant par la fatigue engendrée par l’énergie de l’enfant que par la colère presque impossible à retenir lorsque ce dernier se cache dans les rayons d’un magasin. Dans sa douceur aussi : par les jeux enfantins mêlant adulte et enfant, par les questions acérées et désarçonnantes de Jesse, par sa curiosité aussi. On assiste à de jolies scènes de lecture du soir, à d’amusantes conversations entre une mère et son frère évoquant épuisement et tendresse, aux excuses maladroites de Johnny après avoir crié sur Jesse…

Interview, ©Nos âmes d’enfants, Mike Mills, 2022

Mais Nos Âmes d’enfants ne peut être résumé à ce thème. En toile de fond se jouent d’autres relations, celle de Paul et Viv, qui tente d’aider ce dernier face à ses troubles psychiatriques, ainsi que celle de Viv et Johnny. On comprend par fragments les origines de leur dispute, notamment liée aux derniers jours de leur mère, représentés par quelques flashbacks. C’est peut-être par ce prisme qu’il est intéressant d’analyser le choix du noir et blanc, parti-pris esthétique bien sûr mais aussi symbolique. Symbole d’une tension permanente avec le passé. Passé douloureux qu’il faut réparer, et qu’il faut par conséquent mettre en mots, difficilement, à travers le dialogue.

Le titre du film évoque enfin une autre thématique, celle du regard « enfantin » qu’il faut poser sur le monde, un regard curieux et exigeant. Lorsque Johnny tente de poser à Jesse les questions traditionnelles de ses interviews, ce dernier refuse et préfère s’intéresser au micro et au casque que Johnny porte partout avec lui. Le lien le plus évident entre les deux personnages se fait alors par l’intermédiaire de ce matériel de journaliste. Cet enregistreur que Johnny utilise le soir comme journal intime, Jesse s’en sert comme lien au monde, se promenant casque sur la tête et micro en main tantôt sur les plages de Los Angeles, tantôt dans les rues de New York. Écoutant le passage d’un train, les roues des skateurs sur les rampes, le bruissement des vagues…

Écoute dans la ville, ©Nos âmes d’enfants, Mike Mills, 2022

C’est finalement lui qui interview Johnny, lui demandant notamment les raisons de sa dispute avec sa sœur. Et c’est une fois seul avec l’enregistreur qu’il donnera sa réponse à la première question, « Comment sera l’avenir selon toi ». Sa réponse, à la fois sombre et optimiste, donne le titre anglais du film, C’mon C’mon : « Quoi qu’on prévoie, cela n’arrive jamais. Alors il faut avancer… avancer… avancer… avancer… » Avancer en regardant et surtout en écoutant le monde, quoi qu’il arrive.