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Le Garçon et le Héron, ou comment parler du deuil, de l’espoir et des perruches

Le maître japonais de l’animation revient pour son douzième long-métrage. Miyazaki livre ici un conte onirique où les spectateur·rice·s voguent avec les protagonistes dans ses différents mondes. Si l’histoire laisse certain·e·s perplexes, la joie de retrouver cet univers reconnaissable entre mille au cinéma nous emporte et la puissance de cette animation laissent toujours sans voix.

C’est un film plus complexe que les précédents que nous propose ici Miyazaki : de nombreuses lignes narratives, de nombreuses portes qui s’ouvrent sur des mondes divers, mais surtout de multiples interprétations possibles. Chacun·e a sans doute la sienne, ce qui est une des forces de ce film : on y voit ce que l’on veut.

Un film écho

La première porte qu’ouvre Miyazaki est celle de notre monde actuel. Les échos avec le temps présent sont toujours inscrits dans les films de Miyazaki, qui nous entraîne ainsi dans une réflexion sur nous-même. Le film s’ouvre sur des images de guerre, sur la perte d’un être aimé. Comme dans le film qui devait être le dernier de sa carrière, Le vent se lève (2013), c’est dans un contexte de Seconde Guerre mondiale que se place l’histoire. Les avions y ont une place moins importante mais Miyazaki fait quelques clins d’œil à son film précédent tout en traitant la guerre selon un autre point de vue : celui de la mort et du deuil. En effet, c’est par les flammes de la guerre que le protagoniste, Mahito, perd sa mère.

Comme dans un autre de ses films très oniriques, Le Château ambulant (2004), le feu joue ici un rôle primordial. Les flammes, les bombes, la guerre et la colère dévorent les personnages de l’intérieur avant un long et douloureux travail sur soi au fil du film qui permet de calmer colère et tristesse. Les conflits guerriers d’hier sont aussi ceux d’aujourd’hui dans les films de Miyazaki et celui-ci n’a de cesse de nous montrer une autre voie.

Il est possible de lire également un autre parallèle avec le monde actuel, une autre thématique chère au réalisateur : celle de l’écologie. Par deux fois, les oiseaux du film semblent porter un message écologique. Premièrement, les pélicans tellement désespérés par le manque de nourriture qu’ils se mettent à attaquer les futures âmes humaines font un terrible écho à notre réalité. De plus, les perruches sont une espèce particulièrement envahissante et dévastatrice pour la biodiversité, ce qui peut expliquer le choix de cette espèce d’oiseau ainsi que leur rôle destructeur dans le film.

Un film pansement

Un des thèmes centraux du film est celui du deuil. Mahito nous est présenté comme un garçon silencieux et solitaire, refusant de substituer sa tante à sa mère. Il se blesse volontairement afin de ne plus aller à l’école mais montre ainsi à l’extérieur une blessure
interne vivace. C’est la cicatrisation de celle-ci que l’on suit tout au long du film, la perte du pansement puis l’acceptation de la blessure suivi de la guérison. Mahito se bat pour la vie dans une scène glaçante où il risque de perdre ses sens et accepte alors le rôle que sa tante peut avoir pour lui, celui de « Maman-Nastuko », non pas celui de sa maman, mais celui d’une mère.

Le film montre ainsi que les blessures guérissent mais que l’on en garde les cicatrices, et que ces cicatrices sont portées par tout le monde. C’est bien ce que lui confie la pêcheuse Kiriko en lui montrant la sienne.

Enfin, le film présente une certaine image cyclique de la vie : la jeunesse, l’accouchement, la vieillesse et la mort sont des moments-clés représentés ici. Miyazaki développe aussi l’idée qu’il y a plusieurs vies dans une seule, notamment avec le personnage de Kiriko, et que la mort n’est qu’une partie du cycle, n’est qu’un passage vers une autre porte.

Un film guide

Il me semble que c’est un film « guide » que nous confie Miyazaki. Il approfondit des relations entre ses « personnages-symboles » qu’il avait déjà bien établies dans les films précédents : c’est une vieille femme qui est guidée par un jeune garçon, qui lui rappelle la magie du monde. C’est la jeunesse qui apprend à la vieillesse, c’est elle qui a les rênes, c’est un renouvellement du regard sur le monde.

De plus, la rencontre avec le Grand-Oncle donne une certaine morale : le monde se construit par nos propres actions et il faut toujours se questionner sur soi-même, être conscient de ses forces et de ses failles. Il n’y a pas de dieu, il n’y a que la construction permanente de notre monde par nos actes. Il faut avoir de l’espoir, penser que l’on peut grandir et aller de l’avant malgré ses blessures.

C’est aussi un film où Miyazaki continue à expérimenter : à 82 ans, l’animateur renouvelle encore ses images et son animation en ajoutant de la 3D sur ses ciels aquarelles et de la 2D à ses personnages. Il continue à guider les prochain·e·s animateurs en laissant des pistes à explorer.

Un film espoir

Les films de Miyazaki ne sont pas tant à considérer seuls, ils s’inscrivent dans une lignée, dans des thématiques caractéristiques, à tel point que l’on ne peut pas s’empêcher de parler de tous les autres films en essayant de discuter d’un seul et que lorsqu’on en voit un, on a envie de revoir tous les autres.

Le besoin de rêver et d’espérer, le besoin de guérir et d’exprimer des sentiments forts, c’est cela que nous offre Miyazaki avec ses films, c’est pour cela que l’on y retourne encore et encore. Il nous donne à la fois nostalgie et réflexion, nous perd mais nous permet aussi d’ouvrir un dialogue : dialogue sur le sens du long-métrage, sur la filmographie du maître, sur nos sentiments et nos souvenirs… Et Le Garçon et le Héron, comme les autres, appelle à être vu, et revu.