Elizabeth-Louise Vigée Le Brun : femme artiste au XVIII ème siècle
Elizabeth-Louise Vigée-Lebrun est une des artistes mises à l’honneur par l’exposition « Peintres femmes, 1780 – 1830 » au musée du Luxembourg (3 mars – 4 juillet 2021). Fille de pastelliste, elle côtoie dès son plus jeune âge des confrères de renom tels que Jacques-Louis David, Jean-Baptiste Greuze ou encore Joseph Vernet. Elle est reçue en tant que portraitiste dans le cercle très masculin de l’Académie en 1783 ; une victoire aigre-douce pour l’artiste, qui avait présenté un sujet allégorique appartenant au noble genre de la peinture d’histoire afin de faire montre de son ambition (La Paix ramenant l’Abondance, 1780, Louvre). Mais une victoire néanmoins importante qui ponctue et confirme l’essor de sa carrière professionnelle, soutenue par une femme de pouvoir : son talent reconnu est rapidement sollicité par la reine de France Marie-Antoinette et son entourage à la cour.
Là-bas, Vigée-Lebrun bouleverse les codes du portrait officiel : la rigidité solennelle habituellement de circonstance pour traduire la dignité royale cède sa place au naturel dans l’attitude, l’expression et les habits. Le cadrage rapproché et les sourires renforcent la sensation de rapport direct et intime avec le sujet, expression d’une connivence née entre les deux femmes au fil des séances de pose. Elle est tangible notamment dans le Portrait de Marie-Antoinette en robe de mousseline (1783, Kronberg Hessische Hausstiftung), qui abandonne tous les codes d’apparat pour représenter non plus la reine, mais sa personnalité privée dans toute son individualité. Mais l’œuvre fait scandale : la souveraine enfreint les règles de convenance avec sa tenue vaporeuse, légère et pratique, qui passe pour de simples sous-vêtements aux yeux du public. Exposer ainsi son intimité, sans aucun symbole régalien, est indigne d’une reine. Le tableau est remplacé par le plus traditionnel Portrait de Marie-Antoinette à la rose (1783, Versailles).
Dans le Portrait de Marie-Antoinette et ses enfants (1878, château de Versailles) commandé par Louis XVI, Vigée-Lebrun équilibre l’intime et l’officiel dans le but de restaurer l’image de la reine. En effet, « Madame déficit » cristallisait alors la colère populaire ; elle était perçue comme une dépensière frivole indifférente aux difficultés économiques du royaume – impression renforcée par la récente « Affaire du collier de la Reine ». Des rumeurs sur des amants supposés remettaient même en question l’ascendance et donc la légitimité des enfants royaux.
L’artiste représente la reine dans sa chambre des appartements de parade de Versailles, identifiable par son serre-bijoux et la percée vers le Salon de la Paix aux marbres polychromes. Les regalia (couronne, blason fleurdelisé) sur le meuble soulignent la dignité royale du portrait, qui se retrouve à l’avant-plan dans la pose altière de la reine. Elle est vêtue d’une robe de velours rouge d’une simplicité noble, et ne porte pas de bijoux à l’exception d’une paire de boucles d’oreilles ; cette austérité raffinée s’oppose en tous points à la frivolité qui lui était reprochée.
La reine respectable est représentée avec ses enfants, garants de la continuité dynastique, dans un schéma qui rappelle les Saintes Familles de la Renaissance. Vigée-Lebrun illustre la sensibilité nouvelle du XVIIIe siècle pour le jeune âge, par ailleurs visible dans les bustes de Jean-Antoine Houdon ou bien les scènes de genre de Jean-Baptiste-Siméon Chardin : Louis-Charles cherche à agripper de sa petite menotte le corsage de sa mère, Marie-Thérèse l’étreint avec tendresse et le premier dauphin pointe du doigt le berceau de sa jeune sœur récemment décédée. Au-delà de la reine et des héritiers de la couronne de France, il s’agit ici d’une famille reflétant les idéaux d’éducation évoqués par Jean-Jacques Rousseau dans Emile (1762). Marie-Antoinette s’implique en tant que mère dans l’apprentissage de ses enfants : Le Hameau de Versailles est conçu comme but de promenade ainsi que comme support pédagogique pour ses fils et filles.
Mais l’opinion publique est trop défavorable à Marie-Antoinette, et le tableau exposé au Salon de 1787 ne parvient qu’à conforter ses détracteurs dans leur position critique : la reine semble indifférente à la mort de sa plus jeune fille… La virtuosité de Vigée-Lebrun est néanmoins saluée. En 1789, l’artiste, trop liée à la famille royale, est contrainte à l’exil avec sa fille Julie. Elle parcourt les capitales européennes depuis Rome jusqu’à Saint-Pétersbourg, et met son talent au service d’autres reines, comme Catherine II de Russie.