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Le couronnement de Charles III ou l’alliance de la modernité et des traditions

Cet article présente les éléments centraux qui marqueront la journée du couronnement du roi Charles II.

Les spectateurs de la saison 1 de « The Crown » le savent, la préparation d’un couronnement britannique est l’occasion d’équilibrages subtils entre un conservatisme sur lequel se fonde la légitimité traditionnelle du monarque ainsi que la magnificence de la cérémonie, et un certain réformisme sensible aux évolutions sociales et politiques. Il est certain qu’ayant été placé dans l’antichambre du couronnement pendant 69 ans, le roi Charles III a mûrement réfléchi ces arbitrages.

Le Royaume-Uni a été grandement transformé par les sept dernières décennies, que ce soit par une hausse du sentiment égalitariste, l’apparition ou la visibilisation de certaines minorités (ethniques, religieuses ou sexuelles) ou la sécularisation de la société (qui pourrait remettre en question la pertinence d’un couronnement religieux). Adoptons alors un regard comparatif en observant ce qui est susceptible de modification au nom d’impératifs sociaux et politiques ou ce qui sera préservé, relevant d’après les organisateurs de l’essence même de la cérémonie du 6 mai prochain. 

La cérémonie anglicane, finalement considérée immuable

Il faut avant toute chose rappeler un fait intriguant pour des Français. Le Royaume-Uni, berceau de la démocratie libérale et terre d’accueil historique des persécutés du continent, a une religion d’Etat. L’équivalent britannique du dépôt de gerbe sous l’Arc de Triomphe débute par exemple par une messe anglicane rassemblant gouvernement, famille royale et parlementaires.

Le couronnement dans une cathédrale (celle de Westminster), le serment du monarque sur des ouvrages saints ou encore l’onction par l’archevêque de Canterbury ne sont, à ce titre, pas si exceptionnels. Cependant, dans un pays sécularisé aussi composite, un couronnement exclusivement anglican pourrait être appréhendé comme un oubli des sujets appartenant à d’autres confessions ou qui souhaiteraient un souverain tirant sa légitimité de ses devoirs envers son peuple davantage que de son serment envers Dieu.

Le roi s’était exprimé dans une interview en 1994, alors qu’il était encore Prince de Galles, en faveur du changement du titre du monarque « Defender of the Faith » en « Defendor of faith », de façon à le présenter comme défenseur de tous les croyants et non seulement comme Gouverneur de la seule Eglise d’Angleterre. A l’époque, cela avait fait naître des spéculations quant à une modification du serment du monarque. Finalement, aucun changement ne sera apporté ni à la formule ni à l’oath of coronation. Les cinq étapes de la cérémonie que sont « The recognition, the oath, the anointing, the investiture and the enthronement and homage« , forment le noyau dur de la cérémonie et apparaissent inconciliables avec une pluralité de cultes.

Il y aura malgré tout quelques changements, qui, sans remettre en question les éléments essentiels du sacre, reflètent la personnalité du roi Charles III ainsi que le souhait d’une cérémonie plus simple et cosmopolite. A ce titre le souverain portera son uniforme de la Royal Navy, plutôt que les habits dorés du sacre, assimilables à des chasubles de prêtre, et la cérémonie intégrera des textes et chants en gallois (dont le Roi a été le Prince pendant plus de 60 et dont l’union au Royaume est parfois fragile) ainsi que des chants orthodoxes grecs en souvenir du père du roi, le duc d’Edimbourg, né orthodoxe. 

Une baisse drastique du nombre d’invités qui transforme la morphologie de l’assemblée

Alors que les spéculations vont bon train sur la cérémonie elle-même, une annonce a eu plus de valeur que les autres. En effet, Buckingham Palace a fait savoir que la cérémonie ne comptera « que » 2000 invités, soit quatre fois moins que les 8000 personnes qui se tenaient dans la cathédrale en 1953. Si les chefs d’Etat étrangers, une partie de la famille royale ainsi que les politiques les plus importants du Commonwealth représentent des invitations incompressibles, les autres faire-part seront rares et attribués de manière stratégique et ciblée. 

Le roi a déjà avancé que les premières places refléteraient la diversité de ses sujets, mettant en valeur l’hétérogénéité du Commonwealth, incluant des dirigeants associatifs ainsi que des représentants des différentes confessions du Royaume-Uni. Si l’assistance sera réduite et qu’elle sera en grande partie composée d’acteurs qui n’étaient historiquement pas conviées, cela sous-entend qu’il y aura de nombreux perdants. Qui sont-ils?

L’absence remarquable de l’aristocratie 

La cérémonie reflète un bouleversement inédit dans l’Histoire anglaise : l’avènement d’un roi sans aristocratie. Historiquement, royauté et aristocratie étaient naturellement liées par leur privilèges héréditaires, par des alliances matrimoniales, et en tant qu’incarnations de la tradition. Aujourd’hui, à travers la cérémonie, seul le roi et la famille royale réduite (slimmed down monarchy) se soustraient à l’égalitarisme de la société anglaise. 

Les cérémonies précédentes comprenaient un élément troublant. Après le couronnement du roi, les pairs du Royaume (détenteurs d’un titre de noblesse) se couronnaient également, revêtant une couronne (appelée coronet et non crown) dont le degré de raffinement témoignait de la hauteur de leur titre (du baron au prince, en passant par les vicomtes, marquis et ducs). Comme si les pairs étaient des monarques décentralisés sur leurs terres.

Mais, alors que l’aristocratie a grandement perdu de son pouvoir social, économique et politique (le droit automatique des pairs de siéger à la Chambre des Lords a été supprimé en 1999), un tel événement aurait été anachronique. Bien que ce cérémonial soit peut-être préservé, nous savons aujourd’hui que seule une poignée de pairs (notamment la très haute noblesse, les proches de la famille royale ainsi que les détenteurs d’un charge publique) seront présents. De plus, tandis que tous les pairs devaient jurer fidélité au roi (« l’Homage »), ce serment d’allégeance ne sera formulé cette année que par le Prince de Galles. 

La famille royale ne veut pas donner l’idée d’une classe dirigeante naturellement supérieure (comprenant une famille royale nombreuse et une aristocratie présente de plein droit) mais seulement présenter un monarque, son consort et son héritier, qui bénéficient d’un traitement exceptionnel à l’occasion d’un événement extraordinaire. Hors de la cathédrale, la volonté de profiter de l’occasion pour renouveler l’image de la monarchie et œuvrer au resserrement des liens locaux. 

Les marques d’inclusion des différentes minorités résident dans le caractère populaire de l’événement, hors de la cathédrale. En effet, alors que le pays vit des temps politiques et économiques difficiles et que le sentiment national est souvent déchiré, Charles III nourrit depuis longtemps l’idée d’en faire un événement moins onéreux et plus populaire que les couronnements précédents, notamment à travers le « Coronation Concert » qui se tiendra au château de Windsor et la « Big Help out initiative ». 

Le concert verra défiler la Coronation Choir créée pour l’occasion. Ce groupe sera composé de chorales associatives, mais aussi de migrants, de membres du service de santé (NHS), de chanteurs en langue des signes, ainsi que de représentants de la communauté LGBTQ+. L’idée est de mettre sur le devant de la scène les personnes moins visibles de la société britannique, et d’afficher la couronne non pas comme une tradition conservatrice mais comme l’institution de tous et qui nourrit à ce titre une réelle ambition d’inclusion. Cette dimension est cruciale, alors que les jeunes ont tendance à se détourner de la monarchie et que beaucoup pointent du doigt son passé colonial.

La Big Help Out Initative est une invitation au bénévolat pour tous le lundi 8 mai, jour férié. Les Britanniques sont invités à faire du volontariat à proximité de chez eux, auprès de groupes aussi divers que les Scouts, la National Trust (en charge des monuments historiques) ou encore les sauveteurs en mer de la Royal National Lifeboat Institution, alors que les difficultés économiques se multiplient et que le pays apparaît comme fracturé. 

« The aim is to create a legacy of better-connected communities long beyond the Coronation itself. » ; « L’objectif est de créer  un héritage de communautés davantage connectées au-delà du couronnement lui-même » selon Jon Knight, un des organisateurs de l’événement.  Il s’agit de laisser une bonne image du bénévolat, afin que les Britanniques connaissent les associations proches de chez eux et leur consacrent plus volontiers une partie de leur temps libre à l’avenir.

Bertille Delamarche