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Turquie : Erdogan annonce expulser dix ambassadeurs, puis renonce

Le Président turc Erdogan avait annoncé ce lundi 24 octobre 2021 d’expulser les ambassadeurs français américain, canadien, finlandais, danois, allemand, hollandais, néo-zélandais, norvégien et suédois. La raison ? Une mobilisation de ces ambassadeurs pour Osman Kavala, prisonnier politique du régime depuis quatre ans, sans qu’aucun procès n’ait été organisé pour l’heure. Le Président turc a renoncé, avant-hier, à cette expulsion.

L’affaire Kavala, quatre ans en prison, mais pas de procès

Le 28 mai 2013, une protestation locale avait éclaté, visant à s’opposer à la destruction d’un parc de quartier d’Istanbul. Mais le caractère local de ces protestations avait très rapidement été dépassé par l’association de centaines de milliers de manifestant.e.s venu.e.s de tout le pays. Un mouvement à la répression dure et sanglante (7 822 blessés, 7 morts et environ 3 300 arrestations rien que pour le mois de juin), qui est devenu le symbole du combat contre l’autoritarisme d’Erdogan. Parmi les figures de proue du mouvement, Osman Kavala, philosophe et philanthrope né à Paris, a été arrêté et placé en détention. Il a par suite été acquitté, mais il est maintenant accusé d’avoir un lien avec le coup d’État manqué de 2016. Pourtant, aucun procès, et encore moins juste et équitable n’a établi et corroboré une telle participation. Il figure désormais à la liste des détenus politiques du régime. Les autorités locales ont notamment considéré qu’elles ne disposaient pas de suffisamment « d’éléments nouveaux pour le remettre en liberté ». Curieux, pour nous qui pensions qu’une incarcération devait procéder d’éléments positifs corroborant la culpabilité d’un justiciable.

Dessin d’Osman Kavala

Kavala a pu s’exprimer sur les raisons de sa détention prolongée, qu’il considère comme une réponse au « au besoin du gouvernement d’entretenir la fiction d’un complot étranger derrière les manifestations de Gezi ».

C’est à ce titre que les dix ambassadeurs en cause on exigé que soit organisé un procès « juste » pour Osman Kavala, afin que justice soit faite et qu’a minima, son incarcération soit dépourvue de caractère arbitraire. Une action qualifiée « d’insulte », qui s’est soldée sur un conseil gouvernemental à l’issue duquel il a été déclaré que les ambassadeurs à l’origine dudit communiqué seraient « plus prudents » pour éviter une crise diplomatique.

Une affaire éloquente quant à l’état de santé de la démocratie turque

Le régime turc n’est pas, ou n’est, en tout état de cause, plus, un régime démocratique. En 2020, il a obtenu l’indice de 4,48 au classement de The Economist, le plaçant dans la catégorie des régimes « hybrides », qui ne sont pas des démocraties, mais ne sont pas tout à fait des régimes autoritaires. Notons quand même que la Turquie est bien plus proche d’un régime à proprement parler autoritaire ( scores <4) que des démocraties pleines (scores >8).

Puisque depuis 2013, un certain nombre d’événements ont marqué la chute de la démocratie et des libertés fondamentales en Turquie.

À commencer évidemment par la répression policière et judiciaire sévère des manifestations de Gezi de 2013. À cette époque, Erdogan était premier ministre et s’était prévalu pour nier les revendications populaires, du régime de démocratie représentative qu’est la Turquie : dès lors, il avait créé un clivage social entre les bons et silencieux citoyens, et la minorité bruyante allant contre la volonté générale.

Le Président turc Recep Tayyip Erdogan

En 2016, une tentative de coup d’État avait éclaté, qui avait là encore subi une répression sévère, restreignant encore davantage les libertés et fragilisant la démocratie. S’en était suivie en effet une purge massive de la fonction publique, somme toute un réel coup de massue aux contre-pouvoirs et à leur autonomie.

Enfin, une réforme constitutionnelle de 2017 achevait, au sens propre comme figuré, « l’effectivité » des droits et de la démocratie. Désormais, plus de premier ministre, mais un Président dirigeant seul l’exécutif, et qui forme, dès lors, seul, le gouvernement. Des prérogatives supplémentaires en matière législative, et de nominations de membres du pouvoir judiciaire lui ont également été octroyées par la réforme constitutionnelle. Il est également désormais élu au suffrage universel direct ce qui, loin de lui conférer davantage de légitimité, assied le caractère inconditionnel de sa parole et nie d’avance toute contestation.

Tom Fruchart