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Petite histoire du voile chrétien

Si les débats concernant le port du voile dans la sphère publique occidentale apparaissent encore régulièrement sur internet ou dans les journaux, il ne faut pas oublier que cet accessoire féminin n’est pas le propre de l’islam auquel on le relie aujourd’hui presque exclusivement : au contraire, le voile possède depuis l’antiquité judéo-chrétienne occidentale, une histoire particulièrement féconde et des symboliques tout aussi diverses que complexes.  Complexes car en effet, comme l’affirme Nicole Pellegrin dans son ouvrage Voiles, une histoire du Moyen Age à Vatican II , le voile est un « objet fascinant car il est matériel et poétique, allégorique et pesant » : un objet donc foncièrement polysémique sujet à des interprétations antagonistes. Un rapide tour d’horizon et une étude succincte de l’histoire de cet « objet fascinant » s’impose pour essayer de comprendre pourquoi le voile se porte depuis l’Antiquité et comment, depuis ce temps, malgré les critiques et les controverses, il a perduré comme un symbole de dévotion et de soumission dans l’idéal judéo-chrétien occidental.

Vierge de l’Annonciation, Antonello da Messine, vers 1475, Galerie Régionale de Sicile, Palerme

Naissance du voile dans l’Antiquité

Le port du voile en occident est une pratique millénaire, dont les origines bien qu’incertains, semble remonter à l’antiquité gréco-romaine : alors qu’on a longtemps considéré l’Assyrie antique comme l’origine de la pratique, le port du voile est attesté en Grèce antique comme l’ont montré les travaux de Caroline Galt dans son article Veiled Ladies parut en 1931. Dans la Rome antique (VIIIe s. avant J.C.- 476 après J.C.) également, le voile est d’usage pour les femmes mariées : il est alors porté rouge ou orange par les épouses romaines et appelé flammeum. Comme en Grèce où il est porté pour distinguer les femmes mariées de celles ne l’étant pas, le voile semble donc être dès son apparition, un accessoire allégorique, marqueur du statut d’une femme et symbole de sa maturité.

A cette symbolique de maturité, vient rapidement s’ajouter celle de nubilité (dérivé étymologique du latin « nubere » qui signifie « voiler » ou « se marier ») : la femme voilée de l’antiquité qui par définition est une femme mariée ou nubile est également une femme en âge de procréer. Le voile se fait alors le marqueur de cette fertilité dans l’espace publique et permet à la femme de trouver une place et de sortir de l’enfance. Mais le voile peut également être un marqueur symbolique de soumission maritale puisqu’imposé aux femmes grecques et romaine lorsqu’elles se marient. Il s’agit cependant là plus d’une coutume que d’une obligation, contrairement au port du voile liturgique, lequel est imposé aux femmes et aux hommes grecs ou romains pour matérialiser la soumission humaine aux dieux. Le voile quotidien par opposition au voile liturgique porté lors des offices (telles les vestales par exemple) relève plus d’une coutume et nombreuses sont les femmes qui peuvent sortir dans la rue tête nue (femmes célibataires, veuves, jeunes filles…). Le voile antique est donc un marqueur social, synonyme de fertilité et de nubilité ou de soumission, de respect mais n’est pas encore un accessoire moral : c’est avec l’avènement de la chrétienté et notamment les textes de l’apôtre Paul que cette pièce de tissu va être dotée d’un sens moral.

Vestale voilée, Raffaele Monti, 1847, Chatsworth House, England

De la nécessité de se couvrir la tête : l’impératif paulinien 

Le christianisme naissant, fait religion de l’Empire par l’édit de Thessalonique en 380 de notre ère,  s’accompagne de l’écriture d’un corpus de textes saints et de nouveaux préceptes vestimentaires. Dans les textes saints (Bible, Torah, Ancien Testament) les femmes israélite portent le voile lors d’occasions rituelles (mariage de Léa et Jacob, offices spirituels…) mais apparaissent également tête nue au quotidien. C’est l’épître au Corinthien rédigé par l’apôtre Paul ( ?-67 AC) qui va doter pour la première fois le voile d’une symbolique morale : « L’homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu’il est l’image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l’homme. En effet, l’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l’homme ; et l’homme n’a pas été créé à cause de la femme, mais la femme a été créée à cause de l’homme. C’est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend. ». Le voile est, suivant la tradition paulinienne, lié à la notion de soumission et d’obéissance maritale et divine.

L’écrivain latin Tertullien (160-220) va reprendre à son compte les préceptes de Paul de Tarse dans son ouvrage De Virginibus Velandis en ajoutant que la femme, en tant qu’être suspect (porteuse du péché originel) doit être mise sous contrôle et disparaitre dans l’espace public : le voile est pour lui, la marque du péché originel et le moyen de « mettre sous contrôle » cet être impudique. Il dit : « Femme, tu devrais toujours porter le deuil, être couverte de haillons et abîmée dans la pénitence, afin de racheter la faute d’avoir perdu le genre humain. » L’impératif paulinien va donc rapidement s’accompagner d’un impératif de pudeur, et par extension de chasteté.

Cette position, sans être antagoniste de la symbolique du voile antique qui était déjà porté en signe de soumission aux dieux, s’en éloigne en ce qu’elle invoque les notions de pudeur, de chasteté qui en étaient absente avant. Le voile est dès lors, et pour toujours, doté d’une moralité et d’une spiritualité nouvelle. Marguerite de Navarre en donne un exemple probant dans la nouvelle 32 de son recueil de nouvelles, l’Héptaméron (1533) en écrivant : « le voile ne sied pas l’impudicité ».  La pudeur que le voile est censé protéger implique bien la sexualisation du corps des femmes. Les seules femmes d’ailleurs représentées têtes nues dans les enluminures médiévales ou les peintures sont les femmes de « petite vertue » ou les prostituées qui utilisent leur chevelure comme un atout de séduction, à l’image des sirènes souvent représentées dans les mêmes sources avec un peigne et un miroir, signe de leur perfidie et de leur sensualité. Les femmes vertueuses et morales ne sortent pas « en cheveux » c’est à dire tête nue mais portent donc en signe de pudeur et de soumission aux préceptes chrétiens et à l’homme, un voile.

Le voile depuis le moyen âge

Si depuis le Moyen Age rares sont les femmes qui portent au quotidien le voile, les religieuses n’ont jamais cessé, elles, de l’utiliser, et ce jusqu’à Vatican II. Le concile oecuménique ouvert en 1962 par le pape Jean XXIII donne une plus grande liberté vestimentaire à ses fidèles et nombreuses sont les congrégations féminines qui délaissent dès lors le port du voile. Le voile était alors porté à la messe par les religieuses et les fidèles très à cheval sur la doctrine chrétienne, seule occasion où il est relégué dès le Code de droit canonique publié en 1917 par l’Eglise : le voile n’est depuis bien longtemps plus porté dans la sphère quotidienne publique. Aujourd’hui, le voile chrétien est plus une question de tradition et de coutume que d’obligation, porté lors de cérémonies officielles et religieuses comme le mariage, le baptême ou les funérailles. Il est cependant une occasion durant laquelle les femmes chrétiennes sont censées porter le voile : la rencontre avec le Pape. Mais là encore, l’Eglise n’oblige pas, elle « conseille ». Le port du voile chrétien a donc véritablement changé de signification au cours des siècles et depuis le Moyen Age, est progressivement tombé en désuétude et a perdu progressivement sa symbolique de pudeur et de chasteté qu’on lui connaissait depuis les préceptes de saint Paul et ce en raison, notamment, de la baisse d’influence de la religion chrétienne dans la sphère publique, à une époque où d’autres institutions influentes prennent le relai pour énoncer des impératifs vestimentaires. 

Marie Stuart en deuil blanc, d’aprèsFrancois Clouet, vers 1550 , Royal Collection, Londres

Tristan Hinschberger