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Le contrôle politique de la Banque Centrale Européenne

Lors de la campagne présidentielle française de 2017, on a pu entendre dans la bouche de certains candidats, et notamment de celle de Jean-Luc Mélenchon, qu’en cas de victoire, ils exigeraient une autorisation pour la France d’intervenir dans la direction politique de la Banque centrale européenne. A moins d’un an de l’élection présidentielle 2022, revenons sur ces déclarations pour comprendre ce que ces candidats entendaient par là.

La Banque centrale européenne aux commandes de la politique monétaire de la zone Euro

On le sait, la signature du traité de Maastricht en 1992 prévoyait la mise en place de l’euro, une monnaie commune ayant effet dans ladite «zone euro». Elle comporte aujourd’hui, en plus de la France, dix-huit autres États-membres. Un rôle de régulation de cette zone monétaire a été attribué à la Banque centrale européenne (BCE), basée à Francfort en Allemagne. Pour rappel, en économie, le rôle d’une banque centrale est d’assurer l’émission de la monnaie, la fixation des taux d’intérêt ou encore l’élaboration de la réglementation des banques.

Mais la substantifique moelle du problème, soulevée par certains politiques comme cité précédemment, c’est l’absence totale pour la France (mais également pour tous les pays de la zone euro) d’une quelconque possibilité d’intervention dans cette politique monétaire. En effet, en signant le traité de Maastricht et en adoptant l’euro, la France a accepté de se séparer d’une partie de sa souveraineté (et pas n’importe laquelle) en cédant le pouvoir de battre monnaie et de la possibilité de choisir librement sa politique monétaire : dévaluer sa monnaie, l’apprécier, et ainsi donc adapter la conjoncture économique en cas de crise comme ont pu le faire Charles de Gaulle ou François Mitterand au temps du franc, lorsque le rôle régulateur appartenait alors à la Banque de France.

Pourquoi la BCE n’a-t-elle aucune pression à craindre des pays membres ?

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Milton Freidman, Prix Nobel d’économie 1976

La BCE est totalement indépendante vis-à-vis des États-membres mais aussi des autres institutions comme la Commission européenne. Elle a donc son propre budget et supervise elle-même ses fonctionnaires européens. Ce fonctionnement se calque sur la théorie énoncée par l’économiste Milton Friedman dans les années 70, considéré comme l’anti-Keynes. Celui-ci estimait que si une banque centrale subit une influence politique par un gouvernant, cela favoriserait l’inflation (c’est-à-dire une montée des prix). Il a par la suite été démontré que cette théorie était, dans l’absolu, pas systématiquement vraie. Il n’en demeure pas moins que c’est la stratégie adoptée par la BCE et elle répond à une idéologie libérale plus large, celle de la «main invisible» d’Adam Smith : moins les autorités politiques interviennent sur le système économique, plus il s’autorégule vertueusement. Toutefois, les membres du directoire à la tête de la BCE sont élus unanimement par le conseil européen ce qui peut changer en fonction de l’alternance des gouvernements des pays de la zone euro. De plus, la BCE doit composer avec tous les gouverneurs des banques centrales des pays de la zone euro.

Pourquoi devrait-il y avoir un contrôle politique ?

L’opposition à la monnaie unique et aux institutions européennes repose sur une dénonciation d’une confiscation des pouvoirs aux États membres, ce à quoi ses partisans répondent par la vertu d’avoir un système avec une manière de faire unique pour une monnaie unique et qui plus est qui permet la fameuse stabilité économique de l’Union européenne. Il s’agit d’un enjeu de taille, puisque la zone euro concerne pas moins de 340 millions d’habitants pour un produit intérieur brut qui s’élève à 10 789 milliards d’euros (en 2016). Examinons alors les arguments des deux parties.

Christine Lagarde, Présidente de la BCE depuis 2019

Pour commencer, les partisans d’une BCE indépendante, en sus des arguments déjà évoqués, estiment que la soi-disante indépendance peut-être à relativiser en raison de l’obligation qui lui est faite de rendre des comptes sur ses décisions devant le Parlement européen. Le président de la Banque centrale européenne, à ce-jour la française Christine Lagarde, est tenu de se présenter chaque trimestre devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement. Les députés européens peuvent par ailleurs interroger la BCE s’ils le souhaitent. De plus, il apparaît que la légitimité de cette politique peut être recherchée dans l’approbation démocratique que constitua le référendum du 20 septembre 1992 relatif à l’entrée des États dans la zone euro.

Du côté des détracteurs de cette indépendance donnée à la BCE, on reproche surtout à cet organe son manque de légitimité démocratique avec cette absence de contrôle réel par un organisme élu. Un référendum organisé il y a une trentaine d’années ne suffit plus à conférer une légitimité politique suffisante, d’autant plus à des politiques cruciales. L’incitation de la BCE de ne pas aider les États en difficulté, comme ce fut le cas récemment avec la crise de la zone euro et la dette grecque ou encore le favoritisme à l’égard des États-Unis démontre le caractère hautement politique des décisions prises par cette institution, qui est avant tout technocratique. Le programme OMT (Opérations Monétaires sur Titres) lancé en 2012 visant à acquérir sur les marchés secondaires des obligations souveraines d’États membres a été vu par beaucoup comme une politique outrepassant les attributions strictement monétaires de la BCE tant cela revêt un caractère économique. Pourtant, la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé cette politique conforme au droit européen dans un arrêt du 16 juin 2015, confortant l’accroissement des prérogatives de la BCE sans requérir aucun contrôle politique.

Pour ce qui est de la théorie de Milton Friedman évoquée plus haut, il apparaît clair que son discours a été de plus en plus remis en question avec la crise financière de 2008 où, même si certains pays comme la France, ont pu adopter une politique d’austérité, c’est-à-dire baisser les injections d’argent, d’autres États ont opté pour une politique dite de relance qui a pu fluidifier une économie en berne en raison du krach boursier. A l’échelle de la France, les deux principales dévaluations de la monnaie qui ont précédé l’entrée dans l’euro en 1969 et 1986 montrent que les bienfaits se retrouvent surtout au niveau du commerce extérieur. Toutefois, il ne faut pas oublier que ces politiques étaient indexées en fonction des agissements des partenaires économiques voisins comme l’Allemagne ou l’Italie.

Pour conclure, il faut garder à l’esprit que la crise de 2008 et ses suites ont aussi bouleversé la vision politique de la BCE qui a donc pu mener à cette remise en cause de son fonctionnement. Se basant à l’origine sur la Bundesbank allemande au moment de son élaboration, la BCE justifiait son apolitisme, et donc son indépendance vis-à-vis du politique, par l’efficience des technocrates nommés pour administrer l’institution et pour stabiliser durablement les prix. De plus, elle s’attachait à rester dans les limites de cette unique mission qu’elle s’était elle-même fixée.

Toutefois la crise de 2008 a forcé la BCE a élargir son champ d’application et s’est donc mis à octroyer des prêts à taux zéro et des rachats de dette à ses partenaires touchés par la crise. Ce changement de direction n’est pas sans conséquences puisqu’au delà des questionnements sur les limites de cette extension, le fait que ces «cadeaux» n’aient rien de gratuits contribue à faire monter le mécontentement. En effet, ce dépassement de fonction a conduit les eurodéputés à (re)politiser avec véhémence le fonctionnement de la BCE. Portée par l’opposition du Parlement européen, les députés remettent par exemple en cause les politiques d’austérité imposées par les autorités monétaires européennes aux pays touchés par la crise (de la même manière que le FMI d’ailleurs). Toutefois, le fort socle d’indépendance de la BCE lui permet de garder une certaine distance avec ces turbulences politiques, par la technocratie des fonctionnaires européens dont les analyses parviennent à primer sur les intérêts nationaux, la doctrine néoclassique (l’école économique libérale moderne) qui ne tolère aucune concurrence ou encore le transfert de plus en plus important des finances nationales au profit de la performance du marché européen.

Sources :

Gilles Mitteau, Tout sur l’économie (ou presque), 2020, Gilles Mitteau

Clément Fontan, Dépolitisation et (re)politisation des enjeux monétaires en Europe Les politiques d’indépendance de la Banque centrale européenne, 2019

https://www.touteleurope.eu/institutions/la-banque-centrale-europeenne-bce/

https://www.ecb.europa.eu/explainers/tell-me-more/html/ecb_independent.fr.html

https://www.nouvelobs.com/election-presidentielle-2012/presidentielle-demandez-le-programme/20120413.OBS6162/que-reprochent-melenchon-le-pen-et-dupont-aignan-a-la-bce.html

https://www.letemps.ch/economie/cinquante-ans-apres-banques-centrales-ecoutentelles-milton-friedman

https://journals.openedition.org/ress/236

https://www.nouvelobs.com/economie/20020218.OBS3274/les-grandes-dates-de-l-histoire-du-franc.html

https://www.lemonde.fr/archives/article/1986/04/30/la-banque-de-france-profite-de-la-devaluation-pour-abaisser-a-nouveau-son-taux-d-intervention_2919176_1819218.html

file:///C:/Users/mthsa/AppData/Local/Temp/2019-FONTAN-politiques-de-lind%C3%A9pendance.pdf

2 réponses sur « Le contrôle politique de la Banque Centrale Européenne »

Pas facile comme sujet car complexe par sa technicité. Ceci dit, on peut ajouter qu’un des avantages constaté, est qu’avant la BCE, le franc et d’autres monnaies nationales pouvaient être attaqués par des spéculateurs. D’un autre côté, l’inconvénient majeur réside dans la domination allemande des décisions de la BCE.

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