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Le Conseil d’État durcit le ton en matière de climat

Dans un arrêt rendu public jeudi 19 novembre, le Conseil d’État a durci le ton en ce qui concerne les objectifs environnementaux auxquels s’était engagé le gouvernement. 

Des engagements gouvernementaux déjà en mauvaise voie

Pour rappel, le gouvernement s’était engagé en 2015, à l’occasion de l’accord de Paris, à diminuer de 27% ses émissions de Co2 d’ici 2028, et de 75% d’ici 2050. L’accord de Paris, signé par 197 pays (avant que les États-Unis s’en retirent) se donnait comme but de réduire les émissions de 45% d’ici 2030, d’atteindre la neutralité carbone vers 2050, et de stabiliser la hausse des températures à 1,5 degré à l’horizon 2100. Cet accord était conclu dans le cadre de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992. Notons que la France s’était fixé une loi encore plus ambitieuse et contraignante à son égard, élevant à 40% les diminutions carbones pour la même échéance (par rapport à 1990). Pourtant le pays n’a jamais véritablement été sur la bonne voie : en 2018, son empreinte carbone était de 445,3 millions de tonnes de Co2, soit beaucoup plus que les 246,2 millions qu’elle s’était fixés, selon l’Observatoire Climat-Énergie. Dans le détail, l’arrêt du Conseil d’État indique que, comparées à l’objectif fixé dans le budget de 2018, les émissions de GES ont été 14,5 % plus élevées dans le bâtiment, 12,6 % dans le transport, 2,5 % dans l’agriculture et 0,6 % dans l’industrie.

En 2018, la commune de Grand-Synthe, située en bord de littoral dans le département du Nord, a demandé au gouvernement et au Président de prendre davantage de mesures pour baisser la courbe des émissions carbones, se prévalant de l’engagement international pris par la France. Le gouvernement leur a opposé un refus : la commune a alors saisi le Conseil d’État, accompagnée d’autres grandes communes comme Paris et Grenoble, ainsi que d’organisations de défense de l’environnement comme Greenpeace France et la Fondation Nicolas Hulot, ancien ministre de l’écologie d’Emmanuel Macron. 

L’arrêt du Conseil d’État

La plus haute juridiction administrative a donc été amenée à se prononcer sur la méconnaissance des engagements internationaux pris par la France en matière de protection de l’environnement et de réchauffement climatique. Rappelons que depuis l’arrêt Nicolo de 1989, le Conseil d’État a reconnu la primauté du droit international sur le droit national, et s’est même déclaré compétent pour connaître de l’adéquation des lois avec les engagements internationaux. Le Conseil d’État en effet jugé recevable la demande de la commune qui, située en bord de mer, est donc naturellement soumise avec rigueur aux conséquences du réchauffement climatique. 

La 6ème chambre de la section contentieux du Conseil d’État a relevé que le gouvernement avait adopté un décret le 21 avril 2020, visant à reporter après 2023 une partie de la réduction des émissions, alors que la France s’était engagée à procéder à cette réduction par tranche et par plafond. En d’autres termes, pour la période de 2015, à 2018, le pays avait promis de réduire de 2,2% par an les rejets de Co2. Il n’en a jamais rien été puisque ces rejets n’ont diminué en moyenne que d’1% par an. Dans le détail, les 2e, 3e et 4e plafonds d’émissions ont été revus à la baisse.

 Il est important de le rappeler, le Conseil d’État se prononce dans le cadre d’une affaire bien précise, et il estime ici qu’en l’espèce, il ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour connaître de l’incompatibilité du refus opposé à la commune avec les engagements internationaux que la France avait pris. Il se pourrait en effet qu’il conclut que ce refus n’est pas de nature à contrevenir à ces engagements, dans leur globalité. Voilà pourquoi le Conseil d’État enjoint le gouvernement à fournir sous trois mois des justifications appropriées. 

Si celles-ci ne sont suffisantes, il se pourrait bien qu’il donne raison à la commune et annule finalement le refus du gouvernement de prendre des mesures supplémentaires.

Une décision d’une grande importance

Selon certains juristes et particulièrement des internationalistes et des administrativistes, cette décision pourrait bien être de nature à faire jurisprudence, et à devenir un arrêt de principe. Cela signifie qu’il n’est pas impossible qu’en vertu de cet arrêt, les futurs engagements internationaux, futures lois ou même tout document programmatique, pris par la France et qui prévoient des objectifs (notamment en matière d’environnement) revêtent une force contraignante à son égard. Ils soulignent que cela aurait une importance considérable parce que la France est souvent prompte à s’engager à des objectifs à long terme, mais qu’elle met rarement en œuvre des moyens de nature à les réaliser. 

Affaire à suivre, donc !

Sources :

Communiqué de presse du Conseil d’Etat : https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee

Articles de presse

Caroline Quevrain, « Environnement : la France tient-elle ses engagements de l’accord de Paris ? », LCI, 2019. URL : https://www.lci.fr/planete/cop-25-a-madrid-la-france-tient-elle-ses-engagements-de-l-accord-deparis-2139241.html

Joël Cossardeaux, « Climat : la justice enjoint l’Etat de s’expliquer sur ses reculades », Les Echos, 2020. URL : https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/climat-la-justice-enjoint-letat-de-sexpliquer-sur-sesreculades-1266514