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Pass sanitaire : le Conseil d’Etat refuse de suspendre le nouvel outil du gouvernement

Image du Palais Royal (Site internet du Conseil d’Etat)

Dans un arrêt rendu public mardi 6 juillet, le Conseil d’État a /rejeté le recours formé en référé liberté contre le fameux « pass sanitaire » du gouvernement.

Un recours formé contre le « pass sanitaire »

C’est l’association « La Quadrature du Net », une association de promotion, via internet, des droits et libertés, qui est à l’origine de cette procédure en référé liberté devant la plus haute juridiction administrative par une requête du 11 juin 2021. 

Logo de l’application #TousAntiCovid

Elle sollicitait du Conseil d’Etat qu’il suspende l’exécution du Pass sanitaire, ainsi que la décision d’inclure dans lesdits passes des données relatives à l’état civil et les données vaccinales virologiques. Elle sollicitait également la suspension du décret de sortie de l’état d’urgence, ainsi finalement que d’enjoindre au ministre des solidarités et de la santé d’arrêter de délivrer des passes sanitaires.

Pour rappel, pour lancer une procédure en référé liberté, il faut certes justifier d’arguments valables sur le fond pour prendre toute mesure pour sauvegarder une liberté (suspendre, annuler, réformer un acte administratif par exemple, ou bien encore enjoindre à l’administration, condamner à payer…) comme pour toute procédure, mais il faut encore et surtout que la situation soit suffisamment urgente. 

C’est en effet sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative que les requérants ont pu former ce recours ;

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…) »

Pour soutenir qu’il y avait urgence à agir, l’association a expliqué que la présence d’informations relatives à l’état civil et à la santé, dans les passes sanitaires querellés, constitue une atteinte grave au droit à la vie privée et à la protection des données personnelles. Elle soutient également que le pass est contraire à la loi du 31 mai 2021 sur la sortie de l’état d’urgence sanitaire, ainsi qu’au règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation des données.

Au fond, l’association réitère les allégations d’atteintes citées pour justifier de l’urgence. Elle ajoute que le dispositif méconnait la liberté d’aller et venir, ainsi que la liberté de manifester, et la liberté d’expression puisque les informations divulguées par le pass, insusceptibles d’opposition, fragilisent les populations à la surveillance et à la « constitution de fichiers illicites ».

Elle relève que les codes en deux dimensions comme celui du pass sanitaire sont interdits par la combinaison de la loi du 31 mai 2021, des dispositions des RGPD ainsi que la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978.

Enfin, ils soulèvent que la collecte des données dans le pass sanitaire n’a été précédée d’aucune étude d’impact ou de consultation de l’autorité de contrôle.

L’arrêt du Conseil d’État

Le juge des référés ne l’a pourtant pas entendu de la même oreille.

Logo du Conseil d’Etat

Pour rejeter la requête, il a mobilisé deux considérants principaux. La plus haute juridiction administrative a effectué un classique contrôle de proportionnalité, visant grosso modo à vérifier qu’un acte administratif qui réduirait des droits et libertés, ne leur nuirait pas davantage qu’il présente d’intérêts.

D’une part, il a considéré qu’il ne constituait pas une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’aller et venir en ce que le pass sanitaire n’est pas requis pour la plupart des activités du quotidien. Il n’est en effet exigé que pour les déplacements à l’étranger et dans les outre-mer ainsi que les événements réunissant un grand nombre de personne.

A contrario, ledit pass ne limite et n’atteint nullement à l’exercice des libertés de culte, de réunion ou de manifestation, ou bien encore à des activités plus quotidienne telle que de se rendre au restaurant, d’aller dans des magasins ou au travail.

De même, le juge des référés du Conseil d’Etat a avancé le fait que le format numérique du pass sanitaire n’est pas obligatoire mais facultatif. De surcroît, ce format numérique repose sur le contrôle par chacun et chacune de la conservation de son téléphone, et laisse libre contrôle, via l’application « tous anti-covid » de certaines données de santé.

Il est également mis en évidence que le traitement national des données est très limité, et qu’il est principalement local. Pesant les intérêts du dispositif en balance, le juge note que le pass sanitaire répond à un motif d’intérêt public et de préservation de la santé publique. Il n’est pas une atteinte disproportionnée aux libertés visées, de protection des données, de respect de la vie publique.

Logo de la CNIL

Il ne constitue d’ailleurs pas davantage une méconnaissance des diverses dispositions dont s’était prévalue l’association requérante.

Le juge du Palais Royal a aussi considéré qu’avait été associée la CNIL a priori du processus de développement du dispositif. Elle avait d’ailleurs rendu un avis concluant le 7 juin que le dispositif permettait le respect de la minimisation des données, ne divulguant les informations privées qu’aux personnes habilitées à procéder aux vérifications nécessaires.

Une volonté d’ingérence limitée dans la gestion politique de l’épidémie par l’exécutif

S’il a accueilli un certain nombre de recours contre des décisions administratives (dont il faut tout de même préciser que ces recours trouvent le plus de succès contre des actes locaux), le juge du référé du Conseil d’Etat a tout de même à cœur de ne pas trop se substituer à l’exécutif, et de lui laisser une certaine marge de manœuvre.

Le juge se trouve en effet face à une situation, qui certes dure depuis un an et demi, mais à laquelle il n’a jamais eu à faire, de quelque manière que ce soit.

Emmanuel Macron annonçant la mise en place du confinement en mars 2020

Il faut conjuguer à cela que la situation présente, de manière générale, un caractère urgent et particulièrement évolutif qui a justifié la mise en place d’un état d’urgence sanitaire et la substitution par l’exécutif de prérogatives normalement parlementaires.

Le juge des référés opère un contrôle de proportionnalité, qui prend en compte la proportionnalité de la mesure, ainsi que son adéquation (répond-t-elle au but qu’elle prétend poursuivre ?) et sa nécessité (la mesure, si adéquate, est elle la moins liberticide des mesures qui permettraient de poursuivre le même but, ou en d’autres termes y aurait-il moyen de parvenir au même résultat en prenant une mesure plus légère ?). Le juge doit donc mettre en balance d’un côté des éléments particuliers au cas par cas, et de l’autre des principes et libertés.

Son référentiel est donc peu fourni en la matière, il est très difficile de savoir quelles mesures sont acceptables lorsqu’une situation est inédite et a fortiori lorsque sa pleine compréhension nécessite des compétences scientifiques particulières. Le juge des référés agit alors parfois en faisant preuve d’une certaine prudence pour ne pas interférer dans des matières de gestion sanitaire qui ne lui appartiennent pas, et qui sont prises dans l’urgence des changements rapides de cette épidémie, quitte parfois, à exercer un contrôle trop léger sur les atteintes aux droits et libertés fondamentaux. On pourrait à ce propos s’interroger sur l’utilité et l’efficacité d’une telle institution et d’un tel dispositif, garants des libertés face à l’État, lorsque ceux-ci s’affaiblissent volontairement en des temps exceptionnels.

Sources :
Arrêt du Conseil d’Etat, 6 juillet 2021, juge des référés
Communiqué de presse du Conseil d’Etat