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Olivier Renaudie : « La question de la confiance de la population envers les forces de l’ordre est fondamentale »

Inaugurée par la maire de Paris Anne Hidalgo, la police municipale de Paris, toute nouvelle, est aussi inédite. Pour assurer la déontologie des agents qui la composent, la maire de Paris a aussi créé un organe en place depuis le 4 février : le comité d’éthique, présidé par Jacques Toubon, ancien ministre et Défenseur des droits, et composé de membres nommés, dont Olivier Renaudie, Professeur de droit public à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Il revient pour nous sur sur cette initiative.

Pourriez-vous nous décrire en quoi consistent à la fois ce comité d’éthique, et votre rôle en son sein ?

Ce comité a été créé par la Maire de paris tout récemment. Il a été installé il y a une quinzaine de jours, et est présidé par Jacques Toubon, ancien ministre et Défenseur des droits et composé d’un collège de personnalités diverses nommés par la maire de Paris. Son objet général est la déontologie des agents de la nouvelle police municipale parisienne, elle aussi toute récente, puisqu’elle a un peu moins d’un an. L’idée est de faire en sorte d’être un organe de contrôle des agents de la police municipale.

Le professeur de droit à l’Université Paris 1, et membre du comité d’éthique de la police de Paris, Olivier Renaudie

Quelle a été votre réaction à cette nomination, et qu’est-ce qui a
motivé ce choix de l’accepter ?

Je suis honoré de l’être, car les questions de déontologie de la police m’intéressent de longue date : j’ai écrit et été membre du collège de déontologie de la sécurité du Défenseur des droits. J’ai donc à cœur de mettre en œuvre les principes sur lesquels j’écris, et j’aime particulièrement l’idée de ne pas être un chercheur enfermé dans sa tour d’ivoire, mais de mettre en œuvre les choses que je décris théoriquement. Dans l’autre sens, ce type de comité peut alimenter la théorie et le point de vue intellectuel.

Comptez-vous opérer un filtre des signalements, et si oui comment ?

Il va être créé une adresse mail dédiée aux signalement d’éventuels manquements déontologiques de la police municipale parisienne. Il y aura une procédure de filtre, il le faut, pour déterminer parmi les mails adressés les questions qui sont sérieuses et celles qui le sont moins, pour trier également entre les attributions du comité d’éthique, et celle qui n’en sont pas. Quelqu’un qui utiliserait cette adresse mail pour relever un manquement d’un policier étatique, sort de la compétence exclusive de la police municipale parisienne. Le filtre est, comme toujours, nécessaire. Il n’y aura pas nécessairement beaucoup de signalements, il faut avant toute chose que cet organe soit connu, donc qu’il y ait une communication, et il est toujours difficile de savoir comment les citoyens vont s’emparer de cet organe.

Comment analyseriez-vous les choix qui ont été faits, relatifs à la composition du comité ? Autrement dit, eu égard aux profils qui ont été retenus, quels apports ces profils et ces expériences diverses peuvent-elles apporter à ce comité ?

Deux choses : sur la forme, la collégialité est très importante. J’ai participé à d’autres comités de ce type, et c’est toujours enrichissant car cela permet de croiser les points de vue et de les relativiser. Cela n’est pas anecdotique, cela favorise l’indépendance et les échanges. Sur le fond, il y a de fait des parcours très différents et des visions de la police très différentes : la vision d’une avocate, d’universitaires, de Jacques Toubon ; tout le monde a travaillé sur, ou avec la police, acquis des certitudes, peut avoir des doutes. Tout cela diffère, et cela à l’utilité de croiser les ponts de vue et prendre les décisions qui sont les plus pertinente.

Quel sera l’objet de l’examen ou du contrôle ? Autrement dit, comment concevez-vous les exigences qui s’imposent un agent de police municipal dans son rapport avec les citoyennes et les citoyens et dont la méconnaissance peut pousser à des procédures disciplinaires ?

On est loin de partir de zéro, au delà de la conception de principes déontologiques, il existe un code de déontologie applicable aux policiers municipaux, qui contient un certain nombre de règles déontologiques que doivent respecter les agents de police municipale, il nous reviendra d’apprécier si tel ou tel comportement a été conforme à ces obligations déontologiques, en fonction de ces obligations. Ils exercent leur missions dans le cadre statutaire qui est le leur, celui d’agents de police municipale, donc à ce titre ils doivent se conforter à des exigences éthiques et déontologiques, gravées dans le marbre réglementaire. Ce code constituera l’élément le plus structurant.

Le Président du comité d’éthique de la police municipale de Paris, Jacques Toubon, ancien ministre et Défenseur des droits

Sur le site internet de la mairie de Paris, l’on peut lire que ce comité est une instance « indépendante ». Cette adjectif a été repris dans la quasi intégralité des articles qui ont relayé la création de ce comité. Que pouvez-vous nous dire de cette indépendance ? Comment est-elle garantie et en quoi est-elle nécessaire ?

Cette indépendance est absolument nécessaire pour faire notre travail dans les meilleures conditions. Elle est assurée de deux manières. D’une part par la personnalité de son président. Difficile de croire que celui qui a été Défenseur des droits pendant de longues années, député, ministre, maire ; à ce moment de sa vie et de sa carrière, ne serait pas indépendant. Elle est aussi assurée par la collégialité, par l’idée que des profils divers, dont certains sont profondément marqués par une indépendance statutaire (avocats, Professeurs des Universités), le cumul de ces indépendances statutaires doit conduire à une indépendance collégiale. Cela doit permettre d’y arriver. Ce fut l’objet de la première réunion, et l’on a convenu que cette indépendance serait ce qu’on en ferait, donc la balle est dans notre camps.

Pensez-vous que ce type de comités soit de nature à reconstruire un lien de confiance entre les citoyennes et citoyens, et les forces de l’ordre, et pensez-vous qu’il soit profitable que celui-ci s’exporte d’une part aux autres polices municipales, et/ ou aux autres forces de l’ordre, police nationale, gendarmeries ?

La question de la confiance de la population envers les forces de l’ordre est fondamentale. Et c’est une question qui, ces derniers temps s’est posée de manière accrue. À titre personnel, je crois que deux leviers sont susceptibles d’être utilisés, celui de la formation des policiers et de leur sensibilisation à cette question de la confiance et au lien que ceux ci doivent entretenir avec la population. Le second point est le volet contrôle, notamment de la déontologie de la police et ses rapports avec la population.

Ce type d’organes ne peut être qu’un plus, à partir du moment ou d’une part il a le mérite d’exister, et d’autre part il doit faire preuve, par ses actions, de sa capacité à reconstruire le lien de confiance. Il est trop tôt pour le dire avec certitude, l’idée est bonne, mais pas de procès d’intention, il faut attendre. Comme avec le Défenseur des droits, il a fallu plusieurs années pour qu’il prenne ses marques, et aujourd’hui il est connu et reconnu dans le paysage administratif. Au tour du comité d’éthique de prendre sa place, ce qui prend du temps.