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Le collectif Némésis : féminisme identitaire ou identitarisme sous un voile féministe ?

Deux hommes, l’un semblant d’origine maghrébine, et l’autre d’origine d’Afrique subsaharienne, poursuivant une femme blanche et tentant de l’agresser. Voilà les affiches placardées par le collectif « féministe » Némésis, et sa représentante Alice Cordier.

Un mouvement essentiellement identitaire

En se rendant sur le site du mouvement, l’on peut retrouver un Manifeste qui retrace l’histoire et les objectifs du mouvement. On y apprend dès lors que le mouvement est né en Octobre 2019 et qu’il était motivé par un groupe d’amies « lassées d’entendre les supercheries des mouvements dits féministes censés les représenter, ces derniers préférant faire passer une idéologie gauchiste au dépend des femmes ». (Remarquez par ailleurs la confusion orthographique sur « aux dépens », curieux pour un mouvement attaché à la France, à son histoire et à ses racines profondes.)

Logo du Collectif Némésis

Le mouvement n’est pas difficile à synthétiser sur le plan des valeurs. Ou du moins, il n’est pas difficile de mettre en évidence quelles valeurs sont revendiquées, tant nous verrons qu’elles ne sont pas nécessairement celles qui motivent les actions du collectif. Ainsi, le mouvement entend dénoncer les violences envers les femmes, dans la sphère publique comme dans la sphère professionnelle. Pas un mot de plus par ailleurs sur ces violences, leurs racines, l’oppression systémiques et les innombrables sphères dans lesquelles elles se manifestent, que l’on passe à l’anti-immigration. Le mouvement Némésis entend ainsi dénoncer l’impact de l’immigration « de masse » sur les femmes. D’autre part, il voit dans « la civilisation européenne » un lieu d’épanouissement, une sorte de « safe space » des femmes.

Némésis s’est par ailleurs fait connaitre et remarquer plusieurs fois, notamment en se présentant en voile intégral le 31 janvier pour contrer le World Hijab Day, une journée de soutien envers les femmes qui portent le hijab. Elles se sont par ailleurs fait exclure de manifestations féministes, comme celle organisée par Nous Toutes, arborant en effet des slogans anti-immigration et racistes.

Une position marginale dans le spectre des mouvements féministes

Il n’est pas inédit que le féminisme se caractérise par une variété de mouvements, dont les différences idéologiques ne sont pas, par ailleurs, sources de véritables divergences en termes de message politique et de positions sur les questions sociales (GPA, prostitution…).

Il n’en demeure pas moins que par ses positions, le mouvement Némésis, plus qu’ « anticonformiste », tant l’anti-immigration s’est normalisée en France ces dernières années, se situe en marge de tous ces mouvements féministes. Cela n’est pas sans rappeler d’ailleurs le gommage des clivages politiques opéré par la montée en puissance de l’extrême-droite et de discours jadis scandaleux, qui font passer les différences gauche-droite pour des détails mineurs.

Ainsi, même la féministe occidentaliste Solveig Mineo tient à récuser avec véhémence tout lien idéologique avec le mouvement identitaire. « Concrètement, le collectif Némésis est un mouvement conservateur identitaire chrétien sauce bleu-blanc-rouge avec un enrobage féministe opportuniste. Parmi les suiveuses de ce mouvement, il y a sans doute quelques sincères féministes conservatrices, mais la fondatrice, Alice Kerviel, est une conservatrice chrétienne avant tout, et la rhétorique féministe est juste un moyen pour elle de se faire une petite notoriété dans les milieux conservateurs ». Plus au fond, elle dénonce la différence radicale entre un féminisme de droite, et ce féminisme identitaire : « Elles sont conservatrices, tandis que le féminisme occidentaliste est de droite, c’est-а-dire libéral et donc résolument progressiste, notamment dans le champ social et politique ». Et même cette affirmation sur le positionnement du féminisme occidentaliste est fortement critiquable.

Féminisme identitaire ou identitarisme déguisé ?

Nous n’allons pas contre-argumenter les arguments du collectif, qui relèvent d’un discours d’extrême-droite classique, qui vise à stigmatiser les personnes étrangères ou immigrées, utilisant les chiffres à tort et à travers, stigmatisant les civilisations orientales et leur imputant toutes les oppressions patriarcales et les violences sexistes et sexuelles. On rappellera, juste pour le plaisir, que la religion chrétienne, si chère à nos conservateurs, et si fondamentale pour notre société occidentale, fonde son mythe sur l’image de la femme pécheresse et tentatrice sous la figure d’Ève.

Que ce mouvement soit récusé par les plus « droitardes » des féminisme doit nous interroger : et si le mouvement Némésis n’avait, en vérité, rien de féministe ? Et si ce collectif appartenait à l’extrême droite et se voilait de féminisme pour convaincre davantage de monde ? Et si Némésis tentait d’occuper une place idéologique vacante que celle de la jonction entre féminisme et identitarisme ? C’est en tout cas ce que semble penser jusqu’aux plus occidentalistes des féministes, comme le relève Solveig Mineo.

C’est aussi ce que nous pensons. Dans un débat entre la comédienne féministe intersectionnelle Noémie De Lattre et Alice Cordier, représentante du mouvement Némésis, plusieurs propos de cette dernière se sont révélés particulièrement éloquents sur les véritables motivations et idéologies du collectif.

Noémie De Lattre

Il faut d’abord relever que toutes les préoccupations liées au langage, à la féminisation des métiers, au genre neutre, à l’écriture inclusive, ne sont pas du tout des sujets pour Némésis. Ils sont selon Alice Cordier des sous-sujets, qui ne méritent même pas que l’on s’y intéresse. Le lien avec l’oppression systémique du patriarcat ? Alice Cordier ne se le figure pas.

Elle ne comprend pas, par ailleurs, le terme de « féminicide », car selon elle, aucune femme n’est tuée parce qu’elle est femme. Il faudrait appeler cela violences conjugales, car en effet, il n’existe pas de violence ou de meurtre commis par des hommes sur des femmes qui ne sont pas leur compagne ! Dans cette optique, elle ne voit pas pourquoi on n’appellerait pas, pour un homme qui renverse une femme en voiture (c’est l’exemple qu’elle prend), le terme de féminicide. Et pourquoi, par ailleurs, ne pas utiliser ce terme pour parler des violences faites par des femmes sur les hommes, car quoique minoritaires, ceux-ci subissent aussi des violences qui méritent d’être soulignées. Somme toute pour Alice Cordier, le terme de féminicide est révélateur de ce qu’est le féminisme aujourd’hui : un mouvement non pas pour les femmes, mais contre les hommes.

Pis encore, Alice Cordier relève purement et simplement que les hommes et les femmes ont désormais atteint l’égalité. Pourquoi diable être féministe, lui demande Noëmie De Lattre ? La réponse relève du bégaiement davantage que de la parole.

Plus qu’une indigence intellectuelle (qui ne fait par ailleurs guère de doute), c’est un véritable anti-féminisme qui se dégage des propos d’Alice Cordier. Des propos creux, sans aucune théorisation, sans aucune réflexion, un enchainement de lieux communs, toujours liés de manière artificielle et tout à fait forcée, à l’anti-immigration. C’est que la motivation du collectif Némésis est là : voilà un mouvement qui se pare d’une appellation, d’un label « féministe », mais qui sert les intérêts de l’extrême droite à laquelle il appartient.

C’est en effet une stratégie de plus en plus courante pour l’extrême droite que de se couvrir de progressisme pour véhiculer son message anti-immigration. Voilà une stratégie, certes bien pensée, qu’il faut refuser et récuser absolument et avec acharnement, et ce d’autant plus qu’il n’aura échappé à personne que les violences faites aux femmes, ainsi que les discriminations contre les LGBTQI+ par ailleurs, non jamais été des préoccupations de la droite et de l’extrême droite.