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La stratégie du black bloc, symptôme d’un monde qui ne tourne pas rond

Surexposée dans les médias, critiquée par tout acteur politique, corps intermédiaires compris, rejetée dans l’opinion publique, la stratégie du black bloc est clivante. Pourtant, elle ne doit pas à ce seul titre être exempte de toute analyse, car elle nous dit des choses sur notre société. La balayer reviendrait à opter pour l’aveuglement. C’est pourquoi nous vous proposons une série de podcasts pour revenir sur cette stratégie, tant dans sa forme que dans ses critiques. Basée sur un mémoire de recherche de première année de master de science politique, nous reviendrons tout au long de l’été sur les principales questions qui entourent les black blocs, afin de vous permettre de vous faire votre propre opinion sur ces individus en dépassant la simple condamnation de la violence.

Un malaise démocratique

On peut donc constater, à la fin du XXème siècle, un paradoxe. D’un côté, une démocratie libérale (au sens politique du terme) triomphante, qui assure à chaque citoyen sa part de souveraineté. Et pourtant, de l’autre, des choix et décisions des dirigeants, dictés par les dogmes économiques du capitalisme et du néolibéralisme, qui vont à l’encontre de l’intérêt de la majorité de la population la moins aisée. Cette dissociation entre la prise de décisions et les actes semble incompatible avec une démocratie fonctionnelle. Pourtant, c’est ce que permet le système de souveraineté nationale basé sur la représentation et la participation indirecte à travers l’élection. L’absence de mandat impératif ne rend responsable de leurs actes les élus qu’à l’occasion d’élections, tous les 5 ou 6 ans selon les scrutins. Cependant, on peut observer le manque d’efficacité de ces échéances, puisqu’il est possible d’y échapper ou encore le fort taux d’abstention qui les frappe. L’autre moyen pour les citoyens (si l’on exclut le lobbying citoyen, loin d’être à la portée de tous) de montrer son désaccord avec une politique menée par ses représentants est de manifester. Pourtant, depuis 2016, il a été observé une répression accrue des manifestations, une cause pouvant être l’importation de la technique du « kettling », du « nassage », de Grande-Bretagne. Les manifestations sont donc « nassées » dès leur départ engendrant une forte répression policière. Le récent épisode des « gilets jaunes » et de la stratégie de maintien de l’ordre en est un bon exemple. Celui-ci aura permis de faire émerger de nouveau dans le débat public la question des violences policières.

La vie démocratique apparaît donc rythmée par des échéances ponctuelles dénaturées et des moyens d’expression intermédiaires soit très peu efficaces soit obstrués, ce que la crise sanitaire a empiré[1]. Nous arrivons donc au questionnement premier de ce travail. Le vote et la manifestation (dans la grande majorité des cas) sont des modes pacifiques de contestation. Malgré l’augmentation du nombre de manifestations et de leur intensité[2], la politique gouvernementale ne fléchit pas. Il apparaît donc pertinent d’interroger un potentiel lien entre déficit démocratique et recours à la violence politique. Ce lien se retrouve au cœur de l’idéologie des black blocs. Ainsi, questionner la justification du recours à la violence, politique et non aveugle dans cette tactique, permet d’étudier les critiques que le black bloc émet à l’encontre de la démocratie, de l’Etat et du capitalisme.

Etudier les black blocs

Afin de pouvoir pénétrer la pensée des individus qui agissent au sein des black blocs, deux options sont possibles. Tout d’abord, recueillir des productions issues de collectifs usant de cette tactique et du milieu de l’anarchisme. Sinon, interroger directement des manifestants ayant recours au black bloc et à la violence à des fins politiques. Chacune de ces options possède des avantages que l’autre n’a pas, mais également des inconvénients. Cette étude a opté pour la première. L’analyse se base sur un corpus d’écrits trouvés en accès libre sur internet. D’un point de vue quantitatif, il apparaît qu’un corpus composé de plus d’une trentaine d’œuvres peut permettre de faire ressortir des arguments les plus communément partagés sur la pratique. D’un point de vue qualitatif cette fois, les productions recueillies sont issues de différentes époques (des années 2000 à 2017), sont de différentes natures (appel, réflexion, recueil de propos, lettre ouverte ou encore manifeste) et de différents pays (Etats-Unis, Canada, France, Brésil, Allemagne, …). Sans prétendre être représentatif de tous les individus derrière les masques, et après multitude d’interrogations à ce sujet, le terrain est suffisant pour produire une analyse et répondre aux interrogations qui entourent le sujet.

Nous consacrerons le premier épisode à une réponse à vos questions, n’hésitez pas à nous les envoyer en commentaire ou nous les transmettre sur nos réseaux sociaux.


[1] Misère de la démocratie territoriale, Rémi Lefebvre, Libération, 15 juin 2021

[2] Institute for Economics and Peace, 14th edition, Global Peace Index, 2020