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La peine de mort remise sur la table

Si vous n’étiez pas au fait de cette nouvelle, elle pourrait bien vous surprendre. D’aucun pourrait en effet supposer que la peine de mort est dorénavant un vestige de l’histoire qui, quoique pas si poussiéreux en termes d’années, constitue désormais une énormité archaïque de notre droit ancien. Pourtant, un sondage IPSOS datant de mi-septembre, et qui posait (entre autres) la question : « Seriez-vous favorable au rétablissement de la peine de mort ? » a connu 55% de réponses positives. Ce résultat est en nette augmentation puisqu’il est le plus haut chiffre depuis six ans que ce sondage existe : les françaises et les français sont donc, en 2020, favorables au rétablissement de la peine de mort, ce qui n’était pas arrivé depuis 1999.

Pour rappel, l’abolition de la peine de mort, projet de loi du gouvernement porté par le garde des Sceaux Robert Badinter, avait été votée en 1981 par l’Assemblée nationale, à 363 voix contre 117, et par le Sénat à 160 voix contre 126.

La prohibition de la peine de mort, un droit fondamental

D’un point de vue formel et positiviste, si l’on entend par droit fondamental tout droit qui est garanti par une norme de valeur supérieure, c’est-à-dire constitutionnelle, internationale ou conventionnelle, la prohibition de la peine de mort est bel et bien un droit fondamental. En effet, s’il ne revêtait qu’une valeur législative en 1981, il a acquis valeurs constitutionnelle et internationale par la suite, et ce de manière liée. D’un côté, la France a ratifié la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’Homme en 1974, et celle-ci s’est vu ajouter des protocoles additionnels qui disposent de la prohibition de la peine de mort, notamment les numéros 6 et 13 de 1983 : « La peine de mort est abolie ». La Convention dispose également en son article 26-2 qu’ «aucun individu ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la peine de mort ne sera appliquée en aucun cas.» , et en son article 11 dispose que « le droit à la vie est inviolable. La peine de mort n’existe pas. ». Cela a mené à la modification de la Constitution pour se mettre en adéquation avec le droit international : aussi un projet de loi constitutionnel du 19 février 2007 a-t-il ajouté à la Constitution l’article 66-1 selon lequel « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Droit fondamental, formellement, certes, mais que nous enseigne la philosophie et l’étude jusnaturaliste du droit ? D’abord, il faut admettre une évidence : la peine de mort contreviendrait au droit à la vie, qui est évidemment un droit fondamental. En termes philosophiques, pas même la philosophie utilitariste de Bentham et de Stuart Mill, selon laquelle une décision est juste si elle apporte un maximum de bien à la société, pourrait justifier la peine de mort tant les faits contredisent son efficacité concrète : la peine de mort ne dissuade pas les criminels. Cet argument soulevé à l’époque par Badinter a montré sa véracité dans le temps : la criminalité en France a un peu diminué depuis 1981, elle a diminué de moitié au Canada depuis l’abolition en 1978 et 2008. Ensuite en des termes plus économiques, la peine de mort coûte davantage à la société que des peines de prison à vie, comme aux États-Unis, car les procès nécessitent plus d’avocats, plus d’expertises, qu’il y a davantage de recours possibles, mais aussi car la mise en œuvre coûte cher que ce soit au moment de l’exécution ou lors de la longue détention dans « le couloir de la mort ». De même, ne pas prendre en compte les nombreux exemples d’erreurs judiciaires (de fait, non rattrapables), serait une ineptie puisqu’aux États-Unis encore une fois, l’on estime que 4% des condamnés à mort le sont à tort. En France, on pense à la célèbre affaire Calas, exécuté en 1761, défendu par Voltaire dans son Traité sur la Tolérance, puis réhabilité en 1765. Enfin, la peine de mort revient à user, dans un but punitif, du même moyen que celui qui a été utilisé par le criminel : la mort. Aussi ne rejoint-elle que la dimension punitive de la justice, et fait de la dette qu’a l’individu envers la société une dette qui ne serait solvable que par la disparition de sa personne. Mais quid de fonction réparatrice et réhabilitatrice de la justice ?

La prohibition de la peine de mort, une liberté fondamentale à l’épreuve de la sécurité

Revenons au sondage et apportons-y quelques nuances : la réponse a fortement varié entre les orientations politiques, et en règle générale, la question de la peine de mort est une question qui clive sur le plan des tendances politiques. Ainsi les partis de droites réunissent beaucoup plus de gens qui y sont favorables, (81% des adhérents au Rassemblement National se disent pour, et ce résultat se situe autour de 70% pour les adhérents aux Républicains). Dans les autres partis, une moyenne de 39% est observée. Une explication immédiate serait de dire que la droite se fonde traditionnellement sur une primauté de la sécurité sur les libertés individuelles, ainsi que sur une forte autorité de l’État.

Plus encore, on constate une corrélation indubitable entre le sentiment d’insécurité, et le désir d’un rétablissement de la peine de mort. Celui-ci s’accompagne d’une augmentation des appels à la violence (l’organisme Respect Zone a noté une augmentation de 60% des commentaires appelant à la violence sur les réseaux sociaux en un an). Il peut être expliqué, dans le contexte actuel, par une prise de conscience croissante de problèmes sociojuridiques institutionnels et systémiques comme les féminicides, la pédo-criminalité, et une opinion publique qui considère que les réponses pénales ne sont pas assez adaptées. Ainsi que par un clivage social, fortement relayé par les médias, notamment relativement à la laïcité, l’islam en France, une confusion générale et une islamophobie de plus en plus revendiqué (notons que précédemment, ce sondage avait connu son plus haut score l’année des attentats de Charlie Hebdo en 2015). Ce résultat peut aussi trouver sa cause dans un sentiment général d’impuissance étatique dont découle le besoin, ou le désir d’une autorité centrale exacerbée, donc de réponses pénales plus radicales. Ce sentiment d’impuissance étatique peut également être à l’origine d’un phénomène bien connu de défiance générale au pouvoir en place, donc à une subversion systématique.

Un droit fondamental protégé, y compris contre l’opinion publique

Le caractère fondamental de cette prohibition est désormais le gage que notre droit protège davantage nos libertés et droits fondamentaux que l’opinion publique. Plus encore, ce sondage, opposé aux procédures complexes qui seraient nécessitées pour le réaliser, montre que le droit protège ces libertés pas seulement contre l’administration et l’État, mais également contre l’opinion publique elle-même : il faudrait en effet réviser la Constitution, puis se retirer des traités, puis abroger la loi de 1981. si l’on voulait rétablir la peine de mort.

Tom Fruchart