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Les parrainages en question pour l’élection présidentielle 2022

A chaque élection, sa contestation des signatures de parrainage à l’élection présidentielle. Lorsque les candidat.e.s peinent à les trouver, ils s’en plaignent, et 2022 n’y fait pas exception. Alors qu’Éric Zemmour souhaite que les parrainages soient anonymisés, que Marine Le Pen a demandé un changement des règles, et c’est maintenant Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France Insoumise, qui prend le relais. Pourtant opposés au plan politique, les trois candidat.e.s semblent donc rassemblé.e.s autour de l’idée d’une modification de cette obligation des 500 signatures. Mais, d’où vient-elle ? Pour quelles raisons a-t-on introduit cette obligation des 500 parrainages ?

L’établissement des parrainages

La loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel dispose que « la liste des candidats est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées par au moins cinq cents citoyens membres du Parlement, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse, des conseils départementaux, du conseil de la métropole de Lyon, (…), maires, maires délégués des communes déléguées et des communes associées, maires des arrondissements de Paris, de Lyon et de Marseille (…) »  L’article dispose par ailleurs de la transmission à la Haute autorité de transparence de la vie publique.

Ainsi, cette obligation pour chaque candidat à l’élection présidentielle de recueillir 500 signatures d’élu.e.s a accompagné presque intégralement les élections de la Vème République. On notera également que ces parrainages font l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, qui établit, in fine, la liste officielle des candidats, qu’il publie au Journal officiel « au plus tard quatre semaines avant le premier tour du scrutin. »

Enfin, il faut mentionner que les signatures doivent provenir d’au moins 30 départements différents, et que le plafond est fixé à 50 signatures par collectivité.

La loi organique de 2016 a modifié la loi de 1962 pour y ajouter la publicité des parrainages. Autrement dit, le Conseil constitutionnel rend publics, au moins deux fois par semaine, la liste des élu.e.s ayant parrainé tel.le ou tel.le candidat.e. Cette modalité de publicité a donc été appliquée pour l’élection de 2017, et le sera également en 2022.

La raison d’être des parrainages

Voilà une question dont la réponse est somme toute… terre à terre. C’est en effet pour une raison très pragmatique de limitation du nombre potentiel de candidat.e qu’une telle obligation a été imposée. Sans elle, n’importe qui, qu’il ou elle soit membre ou non d’un parti politique, pourrait se présenter. Cela pourrait rendre la campagne avant l’élection illisible, et l’on peut même mettre en doute les compétences et qualités des candidats.

En effet, au-delà de la question pragmatique, c’est aussi une mesure de légitimité sur le plan des compétences : alors que l’élection au suffrage universel direct par les citoyen.ne.s octroie une certaine légitimité démocratique, le recueil des 500 signatures par des élu.e.s locaux.ales représente une première sélection et le postulat d’une certaine légitimité qualitative.

Quant au nombre de 500, s’il est nécessairement arbitraire, il relève d’une évolution législative qui a accompagné l’augmentation du nombre de candidat.e.s depuis 1962. Ainsi, il n’est de 500 que depuis 1981. C’est là la volonté du législateur qui a estimé qu’une telle jauge était suffisante.

Mais alors pourquoi cette règle de la publicité ? Selon le docteur en droit Patrick Grosieux, il ne s’agit pas, contrairement aux apparences, d’une mesure visant à afficher un soutien politique. L’on peut alors y voir une garantie de la transparence de l’action des élu.e.s. C’est en effet que, si elle n’est pas une mesure de soutien politique, la présentation d’un candidat.e devant le Conseil Constitutionnel n’en a pas moins d’importance, puisqu’elle lui ouvre la voie à être présidentiable. Il s’agit donc d’un acte aux implications et aux conséquences lourdes, dont on a estimé que les électeur.ice.s devaient être au fait.

La loi de 1962 remise en cause

Récemment, c’est donc le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé à modifier cette obligation des 500 signatures. L’ancien membre du parti socialiste pointe du doigt les conséquences que cette obligation pourrait avoir : «  on est dans une situation de blocage pour un certain nombre d’entre nous et c’est mon cas (…). Ça concerne toute la démocratie. Qu’est-ce que ça pourrait donner si certains ne se présentaient pas sinon une nouvelle explosion de l’abstention ? ». Voilà donc un argument pratique résultant de l’inadéquation du système de parrainages avec la volonté populaire : si un candidat soutenu par un très grand nombre ne parvenait pas à obtenir ses signatures et à se présenter, il créerait un vide électoral qui pourrait se solder par de l’abstention. Et cela, plus encore, suppose que le résultat des élections entières se retrouverait faussé, donc moins légitime.

Plusieurs autres arguments viennent au soutien de cette critique. D’abord, on peut en effet y voir une limite trop importante au principe essentiel de légitimité démocratique. Dans le cas où un.e candidat.e aurait des chances d’être élu.e, mais qu’il ou elle ne récolterait pas les précieuses signatures, son impossibilité à se présenter constituerait une forme de blocage de la volonté populaire. De même, il ne semble pas complètement faux de dire que ce type d’obligation est plus favorable non seulement aux partis ayant déjà une reconnaissance forte, mais aussi aux candidat.e.s consensuel.le.s sur l’échiquier politique, ce qui pourrait par ailleurs expliquer pourquoi ce sont les candidat.e.s des extrêmes qui s’en plaignent le plus.

Son alternative ? Le remplacer par un système de parrainage citoyen. La France Insoumise avait d’ailleurs déposé une proposition de loi organique instaurant une procédure de 150 000 parrainages citoyens, à l’image de l’investiture comme candidat de Jean-Luc Mélenchon. Mais n’est pas-t-on déjà dans la logique de l’élection ? 150 000 parrainages citoyens ne seraient-ils pas, par ailleurs, si simples à obtenir qu’ils ne rempliraient plus la mission de filtrage pour laquelle avait été instauré le recueil des 500 signatures ?

Ne faut-il pas tout simplement abaisser le seuil des 500 signatures, pourquoi pas à 350 ou à 400, de manière à permettre à des candidat.e.s dont les scores atteignent 12, 14 ou 15% dans les sondages, de pouvoir se présenter sans trop de difficultés, ou encore d’instaurer un système de substitution, selon lequel par exemple un.e candidat.e qui ne parviendrait pas à ses 500 signatures mais en obtiendrait 400, pourrait se présenter en obtenant 150 000 parrainages citoyens ?

La publicité dénoncée

Jean-Luc Mélenchon, au même titre qu’Éric Zemmour, a appelé à une suppression de l’obligation de publicité de ces parrainages. Le polémiste candidat estime, pour sa part, que les élu.e.s seraient effrayés de le parrainer puisque leur décision est rendue publique. C’est pourtant là une mesure de transparence, qui s’applique à cet acte des élu.e.s comme à tous les autres actes officiels. Pourquoi, dès lors, instaurer une différence ? Il n’est pourtant pas nécessairement faux que la publicité des présentations accroît le phénomène qui favorise les candidat.e.s de partis bien installés, et des candidat.e.s consensuel.le.s, risquant de fausser l’élection.

La solution pourrait être de mettre l’accent sur le fait que cette représentation par les élu.e.s ne constitue pas un soutien à proprement parler, et de promouvoir cette idée de manière à désacraliser les parrainages et à les rendre plus sincères.

En tout état de cause, cette règle, adoptée lors des premières années de la Vème République, semble dans tous les cas, amenée à être discutée, et semble appeler à être adaptée au contexte électoral actuel.