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Élection présidentielle 2022 : la mise en exergue d’une fracture générationnelle

Au delà des résultats de ce premier tour de l’élection présidentielle de 2022, ce qui doit nous étonner, voir nous interpeller,
c’est le véritable « gap » générationnel dans les orientations de vote. Un « gap » qui met en évidence une certaine fracture
sociale… et démocratique.

Des résultats très différents

Au lendemain des résultats du soir du premier tour des élections présidentielles, qui, au cas (très surprenant) où cela vous aurait échappé, a propulsé Emmanuel Macron, président sortant et candidat d’En Marche! et Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, au second tour, suivie de très près par Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise, séparés par 1,3 % des voix. Mais c’est aussi les différences assez énormes entre les différentes tranches d’âge, qui étonnent.

Si l’on regarde les trois premiers candidats, les 18-24 ans étaient majoritairement favorables au candidat de la France Insoumise, auquel ils ont donné 34% des voix, selon un sondage ELABE réalisé pour BFMTV. Ils étaient 25% à voter pour Emmanuel Macron, et seulement 17% à accorder leur voix à la candidate d’extrême droite. Toujours majoritaire chez les 25-34 ans, Jean-Luc Mélenchon n’est plus précédé par le Président sortant, qui ne récolte que 22%. La candidate du Rassemblement nationale, quant à elle, totalise 27% des voix. Elle est en revanche première sur les deux tranches d’âge suivantes, à savoir les 35-49 ans, et les 50-64 ans (29%). Emmanuel Macron est quant à lui deuxième avec respectivement 22 et 25% des voix. Le candidat de gauche comptabilise 20%. Mais c’est chez les 65 ans et plus que le Président sortant récolte le plus de voix, avec 41% des suffrages. Ils ne sont que 17% à avoir voté pour Marine Le Pen, et 11 à avoir glissé un bulletin Jean-Luc Mélenchon dans l’urne.

Ce sont donc les jeunes qui ont massivement voté pour Jean-Luc Mélenchon, les tranches intermédiaires Marine Le Pen, et les retraités ont voté pour le Président sortant. Par ailleurs, les différences sont telles que l’on peut véritablement parler de rupture. Ainsi, le candidat de la France Insoumise récolte trois fois plus de voix chez les 18-24 ans qu’il n’en récolte chez les retraités.

Une rupture déjà amorcée depuis longtemps

On a assisté, au cours du XXe siècle, à une forme de renversement des rapports entre les générations, et en particulier, excluant les actifs, entre les jeunes et les retraités. Ainsi, si la conjoncture économique était favorable jusqu’à la fin du XXème siècle et au début des années 2000, cette tendance s’est inversée depuis une vingtaine d’années. Si les jeunes trouvaient du travail très facilement, il leur est de plus en plus difficile d’en trouver un désormais. Par ailleurs, les retraités actuels sont les mêmes qui ont vécu leur entrée dans le monde professionnel durant les trente glorieuses, période de prospérité économique.

L’historien Jean-François Sirinelli a synthétisé ce renversement : si grandir dans les années 60, c’était grandir dans la « France des 4P : progrès, prospérité, plein emploi, paix », grandir en 2022, c’est surtout grandir dans « la France des 5C : chômage, crise de la dette, crise identitaire, crise écologique, et même crise sanitaire ».

Entre autres conséquences, le taux de pauvreté des jeunes est le taux de pauvreté le plus élevé de toutes les générations (alors même que la situation des retraités n’est pas bien glorieuse). Un jeune sur quatre doit pointer à Pôle Emploi, ce qui constitue plus du double de la moyenne française, et de plus, 90% des nouvelles embauches sont sous forme de CDD ou d’intérim, ce qui ne favorise en rien la stabilité ou la pérennité de l’emploi.

Il faut ajouter à cela l’angoisse climatique grandissante, notamment avec le tout récent rapport du GIEC, et la date butoir de 3 années pour réduire les émissions de CO2. Cette préoccupation concerne bien davantage les jeunes générations, étant évidemment entendu que les 65 ans et ne seront pas les victimes des conséquences catastrophiques des évolutions climatiques et environnementales actuelles.

Des préoccupations divergentes

Plus que les candidats eux-mêmes, c’est évidemment une vision du futur et des préoccupations précises, et la concordances ou non, des programmes, qui a pu jouer.

Difficile en effet de voir dans la réforme des retraites annoncée, et le report de la retraite à 65 ans, une mesure attrayante pour les jeunes. Ce durcissement du régime de retraite est en revanche, tout logiquement, moins problématique pour les plus de 65 ans.

Par ailleurs, le programme de la France Insoumise, et plus généralement, un certain nombre de programmes des candidats de gauche, dont les votes se sont beaucoup reportés vers Jean-Luc Mélenchon, semble traiter la question écologique avec plus de consistance, en témoignent d’ailleurs la plupart des études comparatives des programmes qui plaçaient généralement Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot en tête sur ces questions.

Le candidat de la France Insoumise incarnait également une forme de rupture avec le présent modèle, notamment avec le passage à la VIème République, rupture particulièrement recherchée par les jeunes, qui nourrissent un certain désespoir dans le système actuel. Cela explique par ailleurs le très (très, très) faible score des partis historiques dits « de gouvernement » : Valérie Pécresse des Républicains ne comptabilise que 4,8%, et pis encore, les 1,7% d’Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste.

On peut également citer la questions des droits et libertés fondamentaux, lesquels ont été assez largement déçus par le quinquennat Macron, marqué par une véritable répression policière, et une rupture réelle de confiance entre les citoyens et la police. Par ailleurs, les questions sociales, relatives à l’égalité femmes-hommes, les droits des LGBTQI+, les discriminations, ont été très déçus par le quinquennat du Président sortant. Ces considérations ne sont pas celles des plus âgés, mais bien celles des plus jeunes, en constante quête de justice sociale, d’égalité, d’équité. Le candidat insoumis en avait fait un fer de lance de son programme.

Tous ces éléments témoignent d’une divergence assez radicale, tant en termes d’opinions politiques qu’en termes de préoccupations, qui ont pour conséquences un vote totalement différent, mais aussi une certaine incommensurabilité et incommunicabilité entre ces générations.

Un véritable problème démocratique, et une cassure sociale importante

Conséquence future du résultat de la présidentielle couplé à cette incommunicabilité entre les générations, la situation sociale du pays ne s’envisage guère positivement pour la suite.

Hier la Sorbonne se trouvait bloquée par des étudiants dénonçant la mascarade du second tour, et une nouvelle assemblée générale se tiendra aujourd’hui, les mouvements et manifestations sociales émergeront sans aucun doute durant le prochain quinquennat avec encore davantage de véhémence, et peut être même de violence.

C’est en effet que ces questions sont inconciliables, ou qu’en tout cas, aucun candidat, et au-delà, aucun parti politique, n’est parvenu pour l’heure à répondre à toutes, et par-là même à rassembler.

Une partie du pays ne se sent pas représentée (et statistiquement, à raison), par les résultat de l’élection. Une partie du pays se sent dérobée d’un futur qu’elle seule est en mesure de vivre, comme si l’on choisissait pour elle. Cela pose tant le problème d’une cassure sociale, et même d’une cassure civile très importante et très dangereuse que la question, une fois encore, de la représentativité démocratique du régime qu’est la Vème République. Où a-t-on échoué pour que, au delà des clivages classiques et inévitables des opinions politiques, près d’un tiers de la population rejette avec véhémence le et la potentiel(le) futur(e) président(e) pour cinq ans ?