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Un nouveau projet de loi « sécurité » bientôt discuté à l’Assemblée nationale

Demain, il ne sera peut-être plus possible de filmer des policiers, et encore moins de publier (pour n’importe quelle raison) des images montrant leurs visages. On vous explique tout ici.

La PPL

Une proposition de loi (n°3452) relative à la sécurité globale et portée par les députés LREM Nicolas Fauvergues et Alice Thourot, dispose en son article 24 que sera « puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». Cette proposition de loi sera débattue du 17 au 20 novembre à l’Assemblée Nationale, et autant le dire tout de suite, elle suscite une très large indignation et n’est pas sans poser de (gros) problèmes.

Les motivations exprimées par la majorité

Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a eu l’occasion de se prononcer devant la Commission des lois, sur cette proposition de loi (qui, il faut le rappeler, n’est pas un « projet » de loi porté par l’exécutif). Il a indiqué sur Twitter que l’objectif global de cette proposition de loi était de renforcer les moyens de la police municipale, ainsi que de renforcer ses prérogatives comme par exemple la constatation de nouvelles infractions telles la conduite sans permis, la consommation de stupéfiants), structurer le secteur de la sécurité privée, encadrer la vidéo protection et l’utilisation des drones (profitons en pour rappeler que la Préfecture de police de Paris et à Monsieur Lallemand qu’ils n’ont plus le droit d’utiliser des drones au-dessus de la capitale depuis le 18 mai 2020, et qu’il serait donc temps qu’ils cessent). Cette loi est donc sommes toutes une loi sécuritaire, dont l’objectif global est de « renforcer très fortement le poids de la sécurité dans nos vies de tous les jours ». On comprend vite que l’objectif de l’article 24 est double : permettre aux agents de police de ne pas craindre que leur visage soit exposé médiatiquement, ainsi que d’amoindrir considérablement les probabilités de polémiques et de mécontentement populaire à la vue de ce qui serait considéré comme des « bavures ».

De nombreux problèmes inhérents à cet article

Pour l’avocat Raphael Kempf, en insérant un nouveau délit à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, l’article 24 de la proposition de loi s’attaque à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, et de manière concrète, il va permettre à des policiers d’arrêter et de placer en garde à vue, de manière préventive des journalistes qui les filmeraient dans le cadre de leur action, violente ou non, sur la manifestation ce qui les prive directement à la fois de leur liberté de manifester et de celle d’informer bien avant qu’un procès puisse déterminer si oui ou non le but était ou non de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un policier. Cela prive les destinataires de l’information de leur liberté d’expression. Cette proposition de loi, selon lui, a aussi pour but de protéger la police contre la violence illégale et illégitime qu’elle peut exercer, et prive la justice de preuves.

Pour le journaliste Nicolas Mayart, cet article participe d’une difficulté croissante que ressent le monde journalistique à documenter les violences policières: contrôles, nasses, confiscations et destructions de matériel, gardes à vue. Selon lui, l’article 24 de cette proposition de loi compromet largement la diffusion d’images montrant les violences policières, mais plus encore: il prévoit que les syndicats policiers pourraient utiliser cette loi pour exiger, ou faire pressions sur les réseaux sociaux pour obtenir la censure systématique de ce genre d’images.

L’avocat et membre de la Ligue des droits de l’homme Arié Alimi s’est lui aussi prononcé sur l’inutilité de cet article dans le but que lui ont assigné ses rédacteurs, qu’est celui d’une protection de la police. En effet, il rappelle que les policiers sont déjà protégés par le droit, en particulier par le Code pénal et la loi de 1881, à travers trois délits réprimés jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, que sont le cyber harcèlement, la provocation à la commission d’un crime ou d’un délit, et les menaces de mort. Il dénonce aussi le contenu et les conséquences d’une telle loi.

D’abord en pratique, la notion « d’intégrité psychique » est si floue qu’elle risque d’entraîner des jugements très incertains, et parfois abusifs envers les journalistes (on pourrait d’ailleurs rajouter que la condition même d’une détermination de l’intention de l’auteur pose problème, car elle est très subjective et susceptible d’amener à des abus). In fine, c’est tout le comportement journalistique qui risque de s’en trouver changé. Les journalistes, même attachés à la liberté de la presse et à la démocratie, n’en sont pas moins humains, et risquer de se faire embarquer en garde à vue, voire de se voir coller un procès sur le dos du simple fait d’avoir filmé une scène, cela fait peur et en refroidira beaucoup.

Enfin, cet article a poussé jusqu’à Claire Hédon, Défenseure des droits, qui est une autorité administrative indépendante dont le rôle est de garantir à tou.te.s le respect de ses droits, à se prononcer dans un communiqué. Elle y souligne l’atteinte à des droits fondamentaux posée par le texte, comme la liberté de la presse et la liberté d’information. Elle rappelle que « l’importance du caractère public de l’action des forces de sécurité et considère que l’information du public et la publication d’images relatives aux interventions de police sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique, comme à l’exercice de ses propres missions de contrôle du comportement des forces de sécurité ».

Ce texte pose donc des problèmes relatifs à nos libertés fondamentales, et des libertés et droits qui fondent notre République et la démocratie dans laquelle nous vivons: la liberté de la presse, la liberté d’information, ou encore le droit de manifester. Son contenu même est de nature à outrepasser ce que la lettre prévoit: auto-censure des journalistes, ou encore application abusive par les tribunaux.

L’affaiblissement du rôle du Parlement, une menace envers la démocratie

Il ne s’agit pas ici de faire une dissertation sur les problèmes démocratiques inhérents à notre régime politique, mais de soulever le problème de l’affaiblissement du rôle du Parlement. D’abord, le rôle de contre-pouvoir de l’Assemblée nationale et de ses députés se trouve amoindri par la réforme constitutionnelle de 2000, et le passage du septennat présidentiel au quinquennat. Ce n’est pas tant le temps du mandat qui pose problème en soi, que celui du calendrier électoral. En effet, cette révision constitutionnelle renforce un peu plus le fait majoritaire, qui désigne la concordance de couleur politique du Président de la République (et de son gouvernement) et de la majorité parlementaire. Depuis que le Président n’est élu que pour cinq ans, les élections législatives, qui déterminent quels seront les députés pour cinq ans, ont lieu juste après les élections présidentielles.

Capture d’écran d’une vidéo publiée par la chaine Youtube : Covid-19 : Laissons les médecins prescrire.

Ainsi, il est bien logique que le Parlement soit de la même majorité que le Président de la République, puisqu’il n’y a pas de raison que les citoyen.ne.s votent autrement que ce qu’elles et ils ont voté quelques mois avant (avril pour les élections présidentielles, et juin pour les élections législatives). Puisque l’Assemblée nationale est majoritairement de la même couleur politique que le gouvernement, elle ne remplit plus autant qu’avant son rôle de contre-pouvoir, et ce d’autant plus que l’Assemblée nationale a le dernier mot vis à vis du Sénat dans la navette parlementaire.

Ce type de loi extrêmement clivante met très bien en lumière le problème que peut poser une telle volonté de balayer l’obstruction parlementaire. Ceci vaut a fortiori lorsque des libertés fondamentales sont en jeu. Notons que ceci participe d’un affaiblissement constant du rôle du Parlement, que dénoncent nombres de députés, et que met en lumière Jean-Claude Colliard, professeur de droit et ancien membre du Conseil constitutionnel.

Les possibilités de contrôles

Encore demeure heureusement le Conseil Constitutionnel, qui effectue entre autres, un contrôle de conformité des lois ordinaires (comme celle en question) à la Constitution, au titre de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution. Le Conseil peut être saisi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat et, depuis la révision constitutionnelle de 1974, 60 députés ou 60 sénateurs, pour contrôler la constitutionnalité d’une loi entre le moment de son adoption et celui de sa promulgation. Nous verrons si tel est le cas.

De même, nous l’avons dit, si cette loi entre en vigueur, elle risque de faire l’objet de nombreux abus. Comme de nombreu.x.ses avocats, politiciens et juristes se sont insurgé.e.s de cette loi et plus encore de son article 24, il ne serait pas étonnant que soient soulevées des questions prioritaires de constitutionnalité, au titre de l’article 61-1 de notre Constitution. Il est en effet possible de demander directement au Conseil constitutionnel si une disposition législative qui est un chef d’accusation à l’occasion d’un procès, si cette disposition n’est pas contraire à la Constitution ou à une autre norme de valeur constitutionnelle.

On pourrait ainsi soulever la même question relativement à des normes internationales, notamment à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, qui dispose en son article 10 de la liberté d’expression et d’information et en son article 11 de la liberté de manifester. La conformité de l’article 24 (entre autres) avec ces dispositions pourra être invoquée devant un juge ordinaire à l’occasion d’un procès, ou même directement devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, après qu’un justiciable aura épuisé toutes les voies de recours interne. Affaire à suivre, donc…

En conclusion…

Cette proposition de loi s’inscrit bel et bien dans une logique sécuritaire et de renforcement des forces de l’ordre, et les objectifs annoncés par la majorité ne sont pas absurdes, et pas totalement illégitimes. On peut néanmoins s’interroger sur la nécessité d’une telle mesure, en tant que le droit protège déjà les forces de l’ordre, et surtout, cet article semble interroger, ou carrément poser problème à un certain nombre de droits fondamentaux, que nous avons énoncés.

L’affaiblissement du rôle de contre-pouvoir du Parlement n’est pas non plus sans poser de problème, a fortiori pour des lois comportant de tels enjeux et qui sont aussi clivants du point de vue de l’opinion publique, mais des contrôles restent possibles, et ne manqueront pas, sans nul doute, d’être utilisés si une telle loi venait à être votée.


Mise à jour du 17/11/2020 : Un positionnement ferme de l’ONU

L’Organisation des Nations Unies (ONU) a adressé le 12 novembre une lettre au Président de la République Emmanuel Macron, se prononçant fermement contre la proposition de loi, y compris évidemment contre son article 24. Elle indique à son sujet, que l’interdiction de la diffusion d’images d’agents des forces de l’ordre au visage non flouté, et donc reconnaissable sont « essentiels pour le respect du droit à l’information », qui est un droit fondamental, mais qu’elles sont également « légitimes dans le cadre démocratique des institutions publiques ». Aussi considère-t-elle que cet article ne répond pas, dans le but qui est le sien, c’est-à-dire de protection des forces de l’ordre, aux principes de légalité, de nécessité, et de proportionnalité.

L’ONU s’est également prononcée contre l’article permettant l’utilisation de drones dans la surveillance de la population, ainsi que la centralisation d’images de caméras de surveillance, qui entravent des libertés fondamentales. Ses mots sont forts: pour l’ONU, cette proposition de loi porte une atteinte « sans précédent à l’État de droit ».

Dans son communiqué à ce propos, la Ligue des droits de l’Homme demande ainsi aux députés de ne pas la voter.

Sources:

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi#tocUniqueId29

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3452_proposition-loi#tocUniqueId29

https://defenseurdesdroits.fr/fr/communique-de-presse/2020/11/proposition-de-loi-securite-globalelalerte-de-la-defenseure-des-droits

https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Deconfinement-Le-Conseil-d-Etat-interdit-l-usage-desdrones-de-surveillance-a-Paris-1685846

https://www.lesechos.fr/2007/06/le-parlement-a-t-il-encore-un-role-a-jouer-551408

http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assembleenationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/le-controle-de-laconstitutionnalite-des-lois

Communiqué de la Ligue des droits de l’Homme

Chaine YouTube de David Dufresne