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L’hypothèse Zymov pour éviter la catastrophe climatique

Sergueï Zimov, un géophysicien russe, s’est établi il y a un peu plus de trente ans aux confins de la Sibérie dans une ancienne station scientifique soviétique. Il y a créé un parc naturel visant à étudier la fonte du permafrost* et les moyens d’y faire face. Comment ? Grâce à l’introduction de grands mammifères qui peuplaient ces terres durant le Pléistocène. Depuis cette position reculée il nous envoie un message d’espoir : nous pouvons agir pour limiter les conséquences du réchauffement climatique sur la fonte du pergélisol, le sauvage en serait la clé.

Le permafrost fond et ce phénomène s’accélère en raison du réchauffement climatique mondial (GIEC,2018). La Sibérie et plus largement toute la zone Arctique est très fortement touchée par ce phénomène. L’augmentation des températures y est 2 à 3 fois plus importante que dans le reste du monde. Le problème ? Ces sols gelés contiennent des milliards de tonnes de carbone. Le processus de fonte réactive les populations de bactéries présentes dans ces sols, qui dégradent le carbone et rejettent dans l’atmosphère d’énormes quantités de gaz à effets de serre (Walter et al, 2006). Ce phénomène renforce le réchauffement climatique qui finit par s’auto-entretenir et on entre alors dans un cercle vicieux, encore appelé boucle de rétroaction positive. Les scientifiques n’ont toujours pas réussi à modéliser précisément la contribution de la fonte du permafrost au réchauffement climatique, mais certains chiffres avancés glacent le sang (sans mauvais jeux de mots). Cependant, cette fonte n’est pas inéluctable pour Sergueï Zimov, qui a entrepris depuis 25 ans de mener une expérience grandeur nature de refroidissement naturel du permafrost. Comment ? C’est ce que nous allons voir ensemble.

*Le permafrost ou pergélisol dans sa version francisée correspond à la partie des sols qui se trouve être gelée en permanence.

Qui est Sergueï Zimov ?

Source : Wikipédia

Malgré ses allures de baroudeur des steppes, Sergueï Zimov n’en demeure pas moins un scientifique de renom, auteur et co-auteur de célèbres publications dans les revues Nature et Science. Il est spécialisé dans l’écologie Arctique et Sub-Artique. En 1988, il conduit une expérience de réintroduction d’une douzaine de chevaux Iakoutes autour d’une station scientifique de l’académie des sciences russes située de la plaine de Kolyma (la Northeast Scientific Station). Après la chute de l’URSS, il se retrouve sans financement et est contraint de restituer le troupeau à des éleveurs locaux. Il décide malgré tout de rester sur la station. Dans les années qui suivent  la république fédérale russe lui lègue 14 400 hectares de terres dans la plaine pour mener ses expériences.

Le  Pleistocene Park 

En 1996, le Pleistocene park est créé. La première année, seuls 50 hectares sont clôturés dans lesquels des reines, des élans et des chevaux Iakoutes sont introduits. Puis, les années suivantes, le parc s’agrandit, de nouvelles espèces sont introduites. Il s’agit du bison d’Europe, des bœufs musqués, des yaks, des vaches Kalmouk et des moutons du lac Baïkal. Aujourd’hui, la zone clôturée s’étend sur près de 2 000 hectares et a pour ambition de couvrir l’intégralité des terres léguées au parc. De nouveaux troupeaux de bœufs musqués et des bisons américains, devraient également être introduits prochainement (source : Pleistocene park fondation).

La création de ce parc est concomitante de la reprise d’une activité scientifique autour de la station internationale du Nord-Est. Parmi les problématiques étudiées, l’impact des troupeaux de grands herbivores sur la fonte du permafrost est au cœur du travail de Zimov. Durant les 25 années de recherches menées depuis l’ouverture du parc,  Zimov a réalisé un certain nombre de découvertes renversantes qui ont fait l’objet d’une célèbre publication dans la revue Science en 2005 ( « Pleistocene Park: Return of the Mammoth’s Ecosystem », ce qui donne en français, « Le Parc Pléistocène : Le retour des écosystèmes de steppes à Mammouth »). Ces découvertes aboutirent à ce que nous appelons depuis la sortie du film éponyme: L’Hypothèse ZIMOV.

L’Hypothèse Zimov, c’est quoi ?

Sergueï Zimov est convaincu que le retour des grands herbivores qui peuplaient les plaines de Sibérie au temps des Mammouth pourrait permettre de limiter la fonte du permafrost. Il a d’ores et déjà démontré l’impact positif de la présence de ces animaux sur la diminution de la fonte et le refroidissement de la glace. Trois grands facteurs permettent d’expliquer ce phénomène :

  1. Le premier est la compaction de la neige par le passage répété des herbivores qui piétinent la neige et la retourne.  La neige joue un rôle d’isolant thermique, la couche de neige au-dessus du sol constitue une sorte de couverture qui maintient le permafrost au chaud pendant l’hiver. Si ce manteau neigeux est piétiné, retourné et percé, la couverture moins épaisse est trouée, elle perd ses propriétés isolantes. Dès lors, le froid de l’hiver peut mieux pénétrer dans le permafrost et permettrait de le refroidir de 4 degrés supplémentaires environ.
  2. Le second facteur est l’ouverture des paysages par les herbivores et la disparition progressive de la forêt boréale, au profit de vastes steppes (comme au bon vieux temps des Mammouths).  Cette ouverture permettrait d’augmenter la réflexion des rayons du soleil vers l’espace. En effet, si nous regardons la forêt boréale depuis le ciel, y compris l’hiver, elle apparait très sombre (les conifères ne perdent pas leurs aiguilles l’hiver), la forêt a donc tendance à peu réfléchir les rayons du soleil et donc à retenir la chaleur du soleil. A l’inverse, les espaces ouverts apparaissent d’un blanc immaculé pendant la dizaine de mois que dure l’hiver sibérien. Cette neige reflète bien plus les rayons du soleil (90% du rayonnement est réfléchi). Il y a ce qu’on appelle une augmentation de l’albédo. Ne vous insurgez pas contre la destruction de cette belle forêt qu’est la taïga, regardez plutôt le point 3).
  3. Les écosystèmes de steppes stockent plus de carbone que la forêt contrairement aux idées reçues. Dans une étude publiée en 2009 dans Geophysical Research Letters, Zimov et ses collaborateurs ont mis en évidence que les stocks de carbone présents dans le permafrost ont commencé à diminuer lorsque la steppe s’est transformée en forêt. Cette transformation a eu lieu après que les hommes aient décimé les populations des grands mammifères du Pléistocène. « Plantons des arbres pour lutter contre le réchauffement climatique » est une incantation à la mode, néanmoins elle n’a pas tellement de sens puisque sous l’effet du réchauffement climatique certaines forêts deviennent même émettrices de CO2 ! Il est également important de savoir que l’écosystème de steppe permet d’observer une augmentation de la biodiversité.

Conclusion

Il n’existe aucune solution miracle face aux défis immenses auxquels nous sommes confrontés. L’hypothèse Zimov est une invitation à considérer l’importance du règne animal sur l’équilibre du système terre à grande échelle et nous enseigne qu’une partie de la solution réside peut-être dans un équilibre à retrouver avec le monde sauvage.

Alexandre Lacou


Pour aller plus loin

Je vous invite à visionner le reportage Arte « Sibérie : les aventuriers de l’âge perdu », consacré à Sergueï Zimov, ainsi que le film « L’hypothèse Zimov » de Denis Sneguirev.

Pour ceux qui aiment bien se casser les dents sur les rapports scientifiques je pense que les quelques articles cités dans les sources feront votre bonheur. La fonte du permafrost est un sujet complexe et épineux compte tenu des enjeux, les conclusions des différents auteurs peuvent varier significativement, n’en soyez pas surpris.

Sources

Fondation Pléistocène Parc : https://pleistocenepark.org/

Informations générales concernant la Northeast Station : https://eu-interact.org/field-sites/north-east-science-station/

Photo Sergueï Zimov : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sergue%C3%AF_Zimov#/media/Fichier:Zimov.jpg

Rapport du Giec 2018: IPCC, 2018: Summary for Policymakers. In: Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, H.-O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P.R. Shukla, A. Pirani, W. Moufouma-Okia, C. Péan, R. Pidcock, S. Connors, J.B.R. Matthews, Y. Chen, X. Zhou, M.I. Gomis, E. Lonnoy, T. Maycock, M. Tignor, and T. Waterfield (eds.)]. In Press.

Tarnocai, C., Canadell, J.G., Schuur, E.A.G., Kuhry, P., Mazhitova, G. and Zimov, S. (2009). Soil organic carbon pools in the northern circumpolar permafrost region. Global Biogeochem. Cycles, 23, doi:10.1029/2008GB003327

Zimov, N.S., Zimov, S.A., Zimova, A.E., Zimova, G.M., Chuprynin, V.I., Chapin, F.S., 2009. Carbon storage in permafrost and soils of the mammoth tundra-steppe biome: Role in the global carbon budget. Geophysical Research Letters 36. https://doi.org/10.1029/2008GL036332