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Promising Young Woman : une jouissive revanche

Le 19 mai dernier, les cinémas ont enfin pu rouvrir leurs portes. Plus de deux millions de places ont été vendues au cours de cette première semaine de réouverture post-confinement, malgré une jauge limitée à 35%. A titre de comparaison, presque autant de places avaient été vendues la même semaine en 2019, sans la jauge évidemment. Cette première semaine a donc suscité beaucoup d’engouement, notamment pour les films primés aux César qui ont bénéficié d’une ressortie en salles. Le cinéma français a donc fait carton plein avec Adieu les cons et Mandibules pour la réouverture, mais la deuxième semaine d’exploitation nous réserve aussi de belles surprises. 

En effet, mercredi dernier Promising Young Woman est sorti en salles. Ce long-métrage a été réalisé par Emerald Fennell, qui est aussi écrivaine, showrunneuse (Killing Eve) et actrice (The Crown). Ouvertement engagée pour le féminisme, son premier film ne pouvait que refléter ses revendications. Emerald Fennell raconte l’histoire de Cassie, jouée par la formidable Carey Mulligan (récemment vue à l’affiche de The Dig), une femme qui aurait pu avoir la vie que tous les parents souhaitent pour leur enfant, mais qui, suite à un évènement tragique, va dédier son quotidien à la vengeance. Dans une interview pour IndieWire, la réalisatrice raconte qu’une scène lui est venue en tête : « C’était cette idée d’une femme allongée sur le lit, ivre, quelqu’un lui descendait son pantalon et elle disait :« Qu’est-ce que tu fais? Qu’est-ce que tu fais? », très ivre. Et puis son ton changeait pour dire: «Qu’est-ce que tu fais?», très sobre. Cette idée était très formelle, et cela dévoile vraiment ce que ce film va être»1. Et c’est comme ça que le film commence, sur cette ambiguïté, entre ivresse et sobriété. Cassie va de bars en bars pour se faire ramener par des inconnus. La cinéaste met en scène le cauchemar de beaucoup de femmes et le vice de certains hommes : l’abus de personnes en état d’ivresse. Pourtant, l’héroïne n’est pas une vengeresse tueuse d’hommes, elle est une femme ordinaire, qui aime écouter de la pop et qui met des robes à fleurs, mais qui en a eu assez de ces comportements et qui a donc décidé de faire justice elle-même. Emerald Fennell a voulu se détacher du cliché des rape and revenge films qui ont souvent pour héroine une femme tentatrice, très sexualisée et en combinaison en latex. Mais ici, nous avons UNE réalisatrice, ce qui change beaucoup de choses. Cassie se détache donc de ces attributs associés aux femmes vengeresses au cinéma et se réapproprie toute une iconographie jusqu’alors jugée “girly”. 

Cassie (Carey Mulligan) une © Promising Young Woman (2021), Emerald Fennell

Cette intention passe par la bande-son, de Paris Hilton à Britney Spears mais aussi visuellement par les couleurs pastel, la lumière, les cadres aérés et les costumes, des éléments qui ne rappellent en rien la mise en scène classique du thriller. Le film parle avant tout de consentement et du traitement infligé aux femmes victimes de viol. Ces sujets très graves sont abordés avec le sérieux qu’ils méritent. Mais le film est tout de même léger à certains moments et souvent très drôle. On prend autant de plaisir à observer Cassie donner des leçons d’humanité qu’à la voir éclater le pare-brise d’un gros phallocrate. C’est ce double ton, cette alternance entre sérieux et légèreté, qui fait de Promising Young Woman une œuvre jouissive et importante. On veut voir plus de films comme celui-ci au cinéma, des films intelligents qui n’ont pas peur d’être engagés, qui mettent en avant l’empowerment et mettent à mal la misogynie presque constante des productions hollywoodiennes. 

Chloé Chahnamian.

I. Erbland, Kate, et Kate Erbland. « ‘Promising Young Woman’: Emerald Fennell on Her Mission to Upend Moviegoers’ Thirst for Violence ». IndieWire, 23 décembre 2020, https://www.indiewire.com/2020/12/promising-young-woman-emerald-fennell-interview-1234605075/.