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Asako I et II : le spectre du fantasme

Asako I et II est à l’image de son personnage principal féminin dont il emprunte le titre : il tire son charme de la simplicité avec laquelle il dit des choses si fortes. Ce film se construit sur les différents chocs qui viennent structurer et bouleverser l’intrigue et les protagonistes, à commencer par un évènement malheureusement bien connu des Japonais après le séisme de 2011 : la disparition.

Dès le début, le réalisateur Ryûsuke Hamagachi charge son œuvre d’une énergie magnétique, insufflée par la musique et par Asako tout au long du film et d’abord lancée par la passion qui naît entre elle et Baku. Cette première romance semble presque surréelle. Le sens du détail de la mise en scène qui jalonne le film forge la beauté de cette brève idylle. Il n’est donc pas difficile de s’identifier à Asako face à cette présence d’emblée fantasmatique. Baku s’impose comme cette personne qui apporte une intensité de vie plus forte dans celle d’Asako, à tel point que quand il part sans prévenir, il la laisse bloquée dans son souvenir et cruellement dans l’attente de son retour.

Le film repose sur une idée absurde : deux hommes bien distincts possèdent le même visage. Toutefois, c’est justement ce jeu de miroir, de doubles qui permet à Hamaguchi de mettre à nu les rapports humains et leur complexité aussi terrible que touchante. Ce thème amène un nouveau choc : la réapparition de l’être aimé, ou plutôt l’apparition du spectre de l’être aimé. Lorsque le souvenir de quelqu’un nous bloque, nous hante, comme s’il était là sans être là, comment s’en émanciper ? Hamaguchi dresse ainsi le portrait d’une femme dont le parcours est empreint d’une douce et déchirante tristesse, mais également d’espoir.

Certains mots prononcés par les personnages ne peuvent pas tomber plus justes. Cette incroyable finesse des dialogues s’appuie à la fois sur l’écriture et l’interprétation très naturelle et pure des comédiens. L’âme d’Asako retentit, dans ses regards, ses actions, ses paroles. Si tous les personnages se révèlent assez attachants, Asako l’est plus encore, malgré ses défauts, grâce à son évolution émotionnelle si crédible. Paradoxalement, c’est surtout quand elle agit irrationnellement qu’elle nous attendrit et qu’on la comprend le plus.

Le geste d’Asako (Erika Karata) envers Ryohei (Masahiro Higashide) ©Asako I et II ,Ryûsuke Hamaguchi (2019)

Hamaguchi sait mettre en valeur les gestes par des gros plans ou par la dilatation du temps, ces gestes qui montrent qu’on s’aime, qu’on se désire, qu’on s’en veut, ces gestes qui vont changer une vie, faire basculer une destinée. C’est en particulier le cas des mains, qui se posent sur un corps pour le masser, ou sur une joue dans un geste hésitant, tremblant mais empli d’autant de désir que de mélancolie. Ou comme une main tendue qu’on ne peut refuser, car si on devait résumer Asako I et II et toute l’émotion du film, ce serait sans aucun doute à ce geste-là, ce choc.

Le cinéaste parvient à instiller de l’émotion, du mystère et du désir dans les silences.Il filme ses personnages avec tant de tendresse et de bienveillance dans leurs douleurs, leurs tourments, même dans leurs imperfections, sans jamais céder au voyeurisme. Asako I et II réussit à prendre son temps, pour dérouler son histoire et ses questionnements sur l’amour, dont la dernière réplique du film propose une réponse apaisante, tout en nous serrant le cœur.